Que se passe-t-il si vous ne vous rétablissez pas à la suite du virus d’Epstein-Barr ?

Le virus d’Epstein-Barr a été associé à de nombreuses maladies graves, dont le syndrome de fatigue chronique, une affection encore mystérieuse. Priya Joi, rédactrice chez Gavi, examine ici ce que nous savons des liens entre le virus et un syndrome qui l’a autrefois clouée au lit.

  • 13 novembre 2023
  • 10 min de lecture
  • par Priya Joi
Femme assise dans une pièce sombre, avec un air fatigué. Crédit : Annie Spratt sur Unsplash
Femme assise dans une pièce sombre, avec un air fatigué. Crédit : Annie Spratt sur Unsplash
 

 

La plupart de mes amis ont fêté leur 30ème anniversaire à chanter dans un karaoké ou à faire la fête chez eux, en se lamentant sur leur changement de dizaine. Pour ma part, j’ai fêté cet anniversaire dans un restaurant tranquille au bout de ma rue, dans le sud de Londres, les yeux rivés sur ma montre, car je savais que je n’aurais que quelques heures d’énergie avant de devoir rentrer chez moi pour me coucher.

Je souffrais alors du syndrome de fatigue chronique ou encéphalomyélite myalgique (SFC/EM) et la plupart de mes activités, aussi bien ma vie sociale que la pratique d’une activité physique, étaient reléguées au second plan, car ma vie se résumait à une « trouble mixture » de symptômes tels que le brouillard cérébral, les migraines et l’épuisement extrême. Faire mon métier de journaliste était souvent impossible. La lumière vive et le bruit étaient souvent accablants, et la fibromyalgie rendait mes muscles affreusement sensibles.

Suggérer que des interventions psychologiques pourraient aider les personnes atteintes de SFC/EM à se rétablir ne signifie pas qu’il n’existe pas également une origine biologique.

Mes symptômes avaient été déclenchés par la fièvre glandulaire ou mononucléose, causée par le virus d’Epstein-Barr (VEB), qui est responsable de la plupart des cas de cette infection (mes analyses de sang ont révélé des niveaux élevés d’anticorps au VEB). Il se trouve que je fais partie des 10 % de patients environ qui contractent la fièvre glandulaire et qui développent par la suite un(e) SFC/EM.

Si j’ai eu la chance de m’en remettre après quelques années, j’ai néanmoins été clouée au lit et je connais de nombreuses personnes qui ne se sont jamais rétablies. Il est curieux de constater qu’en 20 ans, en tant que journaliste scientifique, j’ai écrit sur presque tous les types de maladies infectieuses, sans avoir jamais exploré le SFC/l’EM. Mais c’est parce que cette affection est restée assez mystérieuse. Les avis sont partagés, tant dans la communauté médicale que dans celle des patients, quant aux causes de la maladie et à la manière de s’en remettre.

Toutefois, les similitudes qui émergent aujourd’hui avec les symptômes de COVID long ont ravivé l’intérêt pour la compréhension des causes possibles de cette affection.

Échos des formes de COVID long

Lorsque la pandémie de COVID-19 a débuté, des données ont commencé à apparaître, suggérant que 10 à 15 % des personnes infectées continuaient à présenter des symptômes plusieurs mois après l’infection initiale. Les personnes qui, comme moi, ont souffert du SFC/de l’EM ont alors eu une forte impression de déjà-vu. Les symptômes dominants chez les personnes atteintes de COVID long (brouillard cérébral, fatigue, douleurs musculaires) sont extrêmement familiers. Il en va de même pour l’absence apparente de cause physique et la nature erratique des symptômes qui peuvent s’atténuer ou s’intensifier de manière apparemment aléatoire.

Les personnes atteintes de COVID long ont également déclaré que leurs symptômes ne sont pas toujours liés à des déclencheurs spécifiques. Pour Stephanie Longet, une immunologiste qui étudie les formes de COVID long et qui est elle-même atteinte de la maladie, les douleurs dans les jambes sont l’un de ses symptômes. Il lui arrive de se réveiller le matin avec la sensation d’avoir couru un marathon, alors qu’elle n’a pas bougé de lit toute la nuit.

Pour les personnes ayant souffert d’un(e) SFC/EM, qui est désormais « en sommeil », une infection par la COVID-19 peut réactiver leur affection. Il a été démontré que les taux d’anticorps dirigés contre plusieurs virus herpétiques, dont le VEB, étaient plus élevés chez les personnes positives à la COVID-19 qui avaient auparavant été atteintes de SFC/EM, que chez les personnes qui n’avaient jamais été atteintes.

Comment le VEB peut-il être à l’origine du SFC/de l’EM ?

Le VEB infecte environ 95 % d’entre nous à un moment ou à un autre de notre vie. Chez certaines personnes, un lien est établi entre cette infection et une série de maladies graves, notamment la sclérose en plaques, le syndrome de Guillain-Barre et les maladies inflammatoires de l’intestin. En 2022, un article dans la revue Science a révélé que les personnes infectées par le VEB étaient 32 fois plus susceptibles de développer une sclérose en plaques.

Le virus se transmet principalement par les fluides corporels – principalement la salive, mais aussi le sang et le sperme. LE VEB peut être transmis par un baiser, le partage d’une brosse à dents ou le fait de boire dans un verre récemment utilisé par une personne infectée.

Le lien entre la fièvre glandulaire causée par le VEB et le SFC/l’EM est proposé depuis des décennies. Dans un article publié en 1998, Peter White, qui travaillait alors à l’hôpital St Bartholomew de Londres, où il a dirigé des travaux sur le SFC, a constaté que l’incidence d’un syndrome de fatigue aiguë était de 47 % après une fièvre glandulaire, contre 20 % après une autre infection des voies respiratoires supérieures.

Étant donné l’ubiquité de l’infection par le VEB, il est difficile d’étudier sa corrélation avec la maladie et il n’existe toujours pas de critères cliniques universellement acceptés pour le SFC/l’EM, ni de marqueurs biologiques convenus susceptibles d’être utilisés pour le diagnostic.

En 2015, en vue de tenter de caractériser l’affection, l’Institut américain de médecine a défini le SFC/l’EM comme étant « une réduction/atteinte substantielle de la capacité à s’engager dans des activités professionnelles, éducatives, sociales ou personnelles à un niveau antérieur à celui de la maladie, qui persiste pendant plus de six mois et s’accompagne d’une fatigue nouvelle ou d’apparition certaine (non permanente), ne résulte pas (i) d’un effort excessif continu et n’est pas substantiellement soulagée par le repos, (ii) d’un malaise après un effort, (iii) d’un sommeil non réparateur et (iv) soit d’une déficience cognitive, soit d’une intolérance orthostatique. »

Il existe de nombreuses théories sur la manière dont le VEB pourrait déclencher le SFC/l’EM. Maria Ariza, du Centre médical Wexner de l’université d’État de l’Ohio (États-Unis), et son équipe ont suggéré que le VEB produit une protéine pathogène appelée désoxyuridine triphosphate nucléotidohydrolase (dUTPase) qui provoque une inflammation neurologique et déclenche le SFC/l’EM. Cette protéine dUTPase modifie l’expression génétique des protéines qui ont une influence sur la fatigue, sur la structure et la fonction des synapses de la douleur, ainsi que sur le métabolisme du tryptophane, de la dopamine et de la sérotonine.

Madlen Loebel, de l’université de médecine Charité à Berlin, en Allemagne, et ses collègues ont trouvé des données qui prouvent que les personnes atteintes de SFC/d’EM avaient un système immunitaire qui ne réagissait pas assez fortement au VEB. Elles présentaient une « déficience profonde » de la réponse des cellules mémoires B et T spécifiques du VEB, ce qui suggère que l’organisme n’était pas équipé pour éliminer le virus dès le départ.

Tout n’est pas dans la tête

Dans les années 1980, un article du magazine Newsweek décrivait le SFC/l’EM comme la « grippe des yuppies », faisant référence au burnout dont souffraient les banquiers de Wall Street et d’autres personnes à hauts revenus qui travaillaient jour et nuit. Il n’est pas surprenant que cela ait contrarié de nombreuses personnes atteintes de la maladie et que cela reflète des discussions similaires autour des formes de COVID long, certains faisant référence au fait qu’il s’agit potentiellement de troubles « psychosomatiques ».

Il a toutefois été suggéré qu’il existe un lien psychologique avec les symptômes chez certaines personnes atteintes du SFC/d’EM. Des médecins, à l’image de Simon Wessely, professeur à l’Institut de psychiatrie du King’s College de Londres (Royaume-Uni), qui se sont exprimés à ce sujet, ont été vilipendés et ont même reçu des menaces de mort alors que certaines organisations de soutien aux patients et certains médecins nient tout lien psychologique.

L’Association EM, qui a été créée en 1980 pour soutenir les personnes atteintes de SFC/d’EM et qui s’est désormais élargie pour inclure les formes de COVID long, maintient que « la guérison complète de l’EM/du SFC est rare » et elle encourage plutôt à se concentrer sur « la convalescence et une autogestion appropriée ». En 2016, l’organisation a réimprimé un article de Nursing in Practice dans lequel Keith Geraghty, un médecin affilié à l’association, affirme que le SFC/l’EM « est parfois présenté comme un trouble psychosomatique nécessitant un traitement psychologique. Cependant, il n’existe aucune donnée irréfutable qui prouve que l’EM/le SFC est une maladie mentale, et de plus en plus d’éléments démontrent qu’il s’agit d’une maladie biologique accompagnée d’une série de symptômes complexes. »

Il y a toutefois une erreur inhérente à cette affirmation car une affection qui nécessite un traitement psychologique n’est pas nécessairement psychosomatique, c’est-à-dire que son origine n’est pas biologique, mais qu’elle est plutôt due à une inquiétude ou à un stress. Le fait de suggérer que des interventions psychologiques pourraient aider les personnes atteintes de SFC/d’EM à se rétablir ne signifie pas qu’il n’existe pas également une cause biologique.

En effet, les recherches en psychologie et en psychiatrie suggèrent depuis longtemps que des affections physiologiques peuvent déclencher des affections psychologiques et vice versa. Ainsi, suggérer que notre esprit et notre corps sont liés ne relève pas du domaine de la médecine alternative.

Dans son étude de 1998, par exemple, Peter White a découvert que « les nouveaux épisodes de troubles dépressifs majeurs étaient déclenchés par une infection, en particulier par le virus d’Epstein-Barr », bien qu’il reconnaisse qu’ils duraient en moyenne trois semaines.

Comment une affection causée par un virus tel que le virus d’Epstein-Barr peut-elle être résolue par un traitement psychologique ? Le fait que les affections psychologiques puissent être un facteur de risque dans le développement initial de la maladie peut être un indice – si cela venait à se vérifier, il est alors possible que les interventions psychologiques puissent aider à résoudre les symptômes chez certaines personnes.

Il a beaucoup été question d’affections sous-jacentes, telles que l’obésité, comme facteurs de risque de la COVID-19 ou des formes de COVID long. Cependant, selon une étude réalisée en 2022 par Siwen Wang chercheur au sein du Service de nutrition de la Harvard Chan School, et ses collègues, « la détresse psychologique était plus fortement associée au développement des cas de COVID long que les facteurs de risque liés à la santé physique tels que l’obésité, l’asthme et l’hypertension. » Dans leur étude parue dans le JAMA Psychiatry, Simon Wang et al présentent des données qui tendent à prouver que la détresse psychologique, notamment la dépression, l’anxiété et le stress, expose les personnes à un risque étonnamment élevé (32 à 46 %) de développer une forme de COVID long.

« Fausses alertes à la fatigue

Paul Garner, spécialiste des maladies infectieuses à l’École de médecine tropicale de Liverpool (Royaume-Uni), a attrapé la COVID-19 au début de l’année 2020, puis a développé une forme de COVID long, qu’il a décrit comme un « coup de batte de baseball ». Il y a deux ans, lors d’une discussion téléphonique pour une interview avec Gavi, il m’a raconté comment un ancien malade atteint du SFC/d’EM l’avait aidé à « reprogrammer son esprit » pour contrer certains de ses symptômes tels que le brouillard cérébral.

Paul Garner est un chercheur très respecté dans le domaine des maladies infectieuses et je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’utilisation de l’esprit pour guérir le corps. Voici sa réponse : « Votre corps est doté d’un système nerveux autonome qui est un système très basique destiné à vous protéger contre les dangers. Ce système fait que vous retirez automatiquement votre main si vous touchez quelque chose de chaud après avoir ressenti une douleur. Et je pense honnêtement qu’une grande partie de la fatigue chronique et de l’EM dans les syndromes post-viraux est liée au fait que ces systèmes se dérèglent.

Ainsi, par extension, la fatigue pourrait correspondre à un corps qui se « met à l’arrêt » lorsque la personne est malade pour cesser de consommer de l’énergie, et ce afin que le corps puisse récupérer. Mais à un moment donné du processus de la maladie, un dérèglement intervient et des voies neuronales défectueuses déclenchent ces « fausses alertes à la fatigue ». Et lorsque vous vous y attendez, votre inconscient apprend à déclencher ces fausses alertes. »

La façon dont Paul Garner s’est rétabli grâce à des techniques psychologiques telles que la pleine conscience et de courtes séances d’exercice n’est pas très différente de la façon dont je me suis rétablie du SFC/de l’EM, après avoir testé l’acupuncture et même d’imbuvables potions noires d’herbes chinoises, dans une tentative désespérée de guérison.

La thérapie par la parole m’a aidée à surmonter la détresse psychologique et le burnout dont j’avais été vicime avant de tomber malade de la fièvre glandulaire, et en trouvant une solution à ces problèmes, mes symptômes ont également disparu.

Peter White a publié un autre article avec Michael Sharpe, psychiatre et expert reconnu en matière de SFC à l’université d’Oxford, qui révèle que de plus en plus de données probantes existent en faveur des thérapies cognitives et comportementales (TCC) comme possibles solutions pour résoudre les symptômes chez certaines personnes.

Cela ne signifie pas dire que toutes les personnes atteintes de SFC/d’EM verront leurs symptômes s’atténuer avec les mêmes méthodes, mais il est prouvé que pour certaines personnes, les interventions psychologiques sont efficaces.

Vaccins contre le VEB

Malgré le nombre d’affections liées au VEB, la recherche sur la mise au point d’un vaccin contre cette maladie a été très limitée, peut-être parce que, dans la mesure où presque tout le monde est infecté par le virus à un moment ou à un autre de sa vie, un tel vaccin devrait faire partie d’un programme de vaccination de routine, ce qui est nettement plus complexe que de cibler une population spécifique.

En mai 2022, l’Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID, National Institute of Allergy and Infectious Diseases), qui fait partie des Instituts nationaux de la santé, a lancé un essai clinique précoce (Phase I) pour évaluer un vaccin préventif expérimental contre le virus d’Epstein-Barr (BEV). Il n’y a eu qu’une seule autre étude testant un vaccin expérimental contre le VEB depuis plus de dix ans.

Le vaccin agit en ciblant la glycoprotéine gp350 du VEB, présente à la surface du virus et des cellules infectées par le virus. Cette glycoprotéine est également la cible principale des anticorps neutralisants présents chez les personnes naturellement infectées par le VEB. Le vaccin est administré par l’intermédiaire de la ferritine, une protéine qui stocke le fer et qui fonctionne comme une plateforme vaccinale car elle peut afficher à sa surface un vaste ensemble de protéines du virus ciblé.

L’étude ne sera pas terminée avant au moins deux ans et il est par conséquent trop tôt pour se prononcer sur son efficacité. Que se passe-t-il dans l’intervalle ? L’attention accrue suscitée par l’émergences des formes de COVID long a incité les scientifiques à entreprendre des recherches pour comprendre les mécanismes spécifiques par lesquels le VEB peut provoquer le SFC/l’EM, bien que l’utilisation de ces connaissances pour développer des traitements potentiels soit probablement encore loin d’être acquise.

En attendant que les traitements physiologiques soient largement disponibles, il serait peut-être utile d’abandonner la position binaire selon laquelle le SFC/l’EM est soit totalement psychosomatique, soit totalement physiologique.

Qu’un traitement fonctionne un jour ou non, et même si le mécanisme d’action n’est pas clair, le mode de fonctionnement d’une science digne de ce nom consiste à examiner les données probantes pour découvrir ce qui a un effet et ce qui n’en a pas. Ainsi, si les interventions psychologiques améliorent les symptômes, même si cela est inattendu ou vraisemblablement improbable, il ne serait pas scientifique de les rejeter sur la base d’hypothèses selon lesquelles guérir du SFC/de l’EM est quasiment impossible.

Insister sur le fait que la psychothérapie doit aider lorsqu’un(e) patient(e) ne constate aucune amélioration est tout aussi inutile que de nier les avantages de la psychothérapie alors qu’il existe de nombreux témoignages de personnes qui ont guéri du SFC/de l’EM grâce à cette approche. Le débat ne porte pas sur un quelconque argument intellectuel.

En revanche, comme le dit Paul Garner, un « discours plus rationnel, plus lucide, qui prend en compte les expériences vécues par les patients, est ce dont nous avons le plus besoin. »