Que se passe-t-il si vous ne vous rétablissez pas à la suite de la rougeole ?

En matière de santé publique, nous parlons beaucoup de taux de mortalité et de taux de survie. Mais compter le nombre de personnes qui meurent et celles qui vivent est un aspect binaire bien trop réducteur. Les conséquences d’une maladie survivent souvent à l’infection. Il s’agit du premier épisode d’une nouvelle série que nous avons intitulé « The long Tail ».

  • 29 septembre 2023
  • 7 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Illustration d’un jeune garçon non vacciné atteint de la rougeole.
Illustration d’un jeune garçon non vacciné atteint de la rougeole.
 

 

La rougeole – l’un des agents pathogènes humains les plus contagieux connus du monde scientifique – peut vous tuer. Cela mérite d’être dit clairement.

Globalement, entre un et trois enfants sur mille non vaccinés et infectés par la rougeole décèdent, mais le taux de mortalité dépend fortement des conditions de vie et de santé d’une personne donnée avant qu’elle ne contracte la maladie.

En 1990, la rougeole et la carence en vitamine A étaient encore considérées comme les principales causes de la cécité infantile dans la plupart des pays à faible revenu. En 2004, l’OMS a estimé que de l’ordre de 100 000 enfants perdaient la vue chaque année à cause du virus.

Comme le Dr Peter Strebel, expert en lutte contre les maladies l’a expliqué à VaccinesWork plus tôt cette année, dans un contexte de pauvreté – qui s’accompagne souvent d’un état nutritionnel médiocre et d’une surpopulation domestique – les résultats sont bien pires. Dans de telles circonstances, ainsi que dans les situations d’urgence humanitaire, il est prévu que le virus fasse jusqu’à 15 % de victimes.

Toutes les personnes qui ne meurent pas (par définition) survivent à leur infection. Mais la survie n’est pas toujours synonyme de retour à une parfaite santé. Une partie des personnes qui survivent à la rougeole vivent avec des handicaps permanents qui bouleversent leur vie. Une très petite minorité malchanceuse décèdera, des années après le premier contact avec la maladie, d’une affection cérébrale dégénérative rare et soudaine. Une majorité d’entre elles restera plus vulnérable à d’autres maladies après avoir été confrontés au virus, conséquence d’un phénomène lié à la rougeole appelé « amnésie immunitaire », qui constitue par ailleurs un facteur de risque épidémiologique important au niveau de la population.

Comment le virus se propage-t-il ?

Une personne est atteinte de la rougeole. En toussant, elle propage des matières virales dans l’air sous la forme de gouttelettes aérosolisées, qui peuvent rester en suspension pendant deux heures. Une personne non vaccinée et « naïve sur le plan immunitaire » inhale ces gouttelettes et son système respiratoire les aspire.

Le virus infecte d’abord les cellules immunitaires de la paroi des poumons. Ces cellules infectées se déplacent vers les ganglions lymphatiques où le virus se transmet à d’autres cellules immunitaires – celles qui sont responsables de la production d’anticorps qui se souviennent des anciens agents pathogènes. Il réquisitionne les « machines » de ces cellules et les utilise pour se répliquer à grande vitesse. Le virus de la rougeole devient alors systémique et se propage dans l’organisme de façon agressive. Dans un entretien à Wired, Roberto Cattaneo, biologiste moléculaire à la clinique Mayo, a estimé qu’environ une semaine seulement après avoir respiré des gouttelettes de rougeole, quelque 50 % des cellules mémoires de l’organisme sont infectées, ce qui nuit gravement aux défenses de la personne malade face à d’autres bactéries et virus. Les décès dus à la rougeole sont souvent liés à une co-infection par d’autres microbes, le plus souvent par le biais d’une pneumonie associée à la rougeole.

Le virus se propage dans la trachée, tuant au passage certaines cellules qui, en se déversant dans les voies respiratoires, provoquent une toux – projetant des gouttelettes chargées de virus dans le monde.

En se déplaçant dans le sang, le virus infecte les capillaires des cellules épithéliales, déclenchant la libération par le système immunitaire de substances chimiques qui attaquent les envahisseurs, mais qui endommagent également les cellules hôtes. L’éruption de rougeole sur la peau en est le témoin visible.

Par un processus similaire, le virus provoque une conjonctivite dans l’œil – il s’agit d’une inflammation de la conjonctive, membrane riche en vaisseaux sanguins. Plus rarement, la cornée peut également être infectée dans le cadre d’un processus appelé kératite.

Dans environ un cas sur mille, le virus pénètre dans le cerveau où il peut provoquer une dangereuse inflammation du parenchyme cérébral, ou tissu cérébral.

Perdre la vue

En 1990, la rougeole et la carence en vitamine A étaient encore considérées comme les principales causes de la cécité infantile dans la plupart des pays à faible revenu. En 2004, l’OMS a estimé que de l’ordre de 100 000 enfants perdaient la vue chaque année à cause du virus. La vaccination et les compléments en vitamine A ont permis d’améliorer la situation, mais le risque de ce handicap qui peut changer le cours d’une vie reste important dans les communautés qui souffrent d’une carence en vitamine A et dont les taux de vaccination sont faibles.

« D’une certaine manière, l’infection par le virus de la rougeole met le système immunitaire en mode par défaut. » L’organisme « oublie » définitivement comment lutter contre les agents pathogènes qui lui sont familiers. Il peut apprendre à nouveau – mais apprendre signifie survivre à une nouvelle infection, à une autre menace – potentiellement, au niveau de la population, survivre à une autre épidémie.

La rougeole peut provoquer l’ulcération de l’épithélium de la cornée, ce qui laisse l’œil vulnérable à une infection bactérienne – et l’infection secondaire peut provoquer une cicatrisation de la cornée, endommageant partiellement ou totalement la vue d’un enfant. Si une cornée saine est aussi transparente qu’une vitre, une cornée cicatricielle ressemble à du verre dépoli. Tragiquement, la cicatrisation de la cornée est souvent causée ou exacerbée par des tentatives malavisées et non scientifiques de traiter ou d’apaiser l’inflammation oculaire inconfortable, fréquente avec la rougeole.

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Le risque pour les yeux d’un enfant est particulièrement grave si, en raison d’un régime alimentaire inadéquat, l’enfant présente une carence en vitamine A. Lorsque la rougeole infecte la paroi de l’intestin, elle peut entraîner une perte des protéines qui transportent la vitamine A dans l’organisme, ce qui signifie que les niveaux de vitamine A d un enfant déjà vulnérable peuvent chuter.

« Si un enfant souffre d’une carence aiguë et sévère, la cornée peut tout simplement fondre », a déclaré à VaccinesWork le Dr Clare Gilbert, ophtalmologiste et professeure de santé oculaire internationale. À la suite d’un processus de nécrose liquéfactive de la cornée, le contenu de l’œil peut sortir « et c’est une véritable catastrophe », explique Clare Gilbert. « Ils finissent par devenir totalement aveugles et de façon permanente après cela. »

Perte de l'audition

La rougeole peut précipiter la perte d’audition de deux manières : la première par le biais d’infections au niveau de l’oreille, qui sont fréquentes dans le cas de la rougeole, mais qui ne causent pas souvent de dommages permanents. La seconde est due à une lésion résultant d’une inflammation du cerveau liée à la rougeole, ou encéphalite.

Dans la mesure où la perte d’audition liée à la rougeole touche principalement les enfants de moins de cinq ans, elle est susceptible d’avoir des conséquences considérables sur le développement, en affectant potentiellement l’acquisition de la parole.

Selon un article publié en 2021 au Nigéria, la perte d’audition due à la rougeole est largement sous-déclarée, ce qui signifie qu’il est difficile de dire avec certitude à quel point elle est fréquente. Selon les estimations, avant la généralisation de la vaccination aux États-Unis, environ 5 à 10 % des cas de surdité profonde étaient liés à la rougeole.

Autres déficits neurologiques durables, de la paraplégie à la déficience intellectuelle

Outre la surdité, l’encéphalite peut entraîner d’autres formes de handicap durable. Le taux de mortalité de l’encéphalite liée à la rougeole est de 10 à 15 % environ. Environ 25 % des personnes qui survivent à l’encéphalite liée à la rougeole souffriront d’une lésion neurologique permanente, allant de déficits moteurs tels que la paraplégie à des troubles convulsifs, en passant par la surdité et la déficience intellectuelle.

Décès retardé : la panencéphalite sclérosante subaiguë

Parfois, des années s’écoulent avant que le virus de la rougeole ne fasse des ravages. Plus fréquente dans les pays pauvres que dans les pays riches, la panencéphalite sclérosante subaiguë (PSS) est néanmoins extrêmement rare, et frappe environ 4 à 11 personnes pour 100 000 infections par la rougeole.

La PSS est une maladie qui survient des années après la primo-infection par la rougeole. Généralement, les patients ont contracté la rougeole jeunes – habituellement dans la petite enfance – et ont semblé guérir de l’infection. Mais un mutant particulier du virus a persisté, latent, dans le cerveau.

Beaucoup plus tard, généralement lorsque les patients ont entre cinq et quinze ans, ils commencent à changer. Au début, le changement est vague, difficile à cerner – maux de tête, oublis, sautes d’humeur, baisse des notes à l’école. Toutefois, au fil du temps, ils souffriront de spasmes musculaires, de la perte de la parole, de difficultés à marcher. Dans un délai d’un à trois ans après le diagnostic, les patients entrent dans un état végétatif, puis décèdent. Il n’existe aucun traitement pour contrer l’évolution de la maladie dès lors qu’elle s’est déclarée, mais la vaccination contre la rougeole est un moyen de prévention fiable.

Amnésie immunitaire

Le phénomène appelé amnésie immunitaire générée par la rougeole n’est pas rare et peut par conséquent être dangereux à grande échelle. Non seulement l’attaque du système immunitaire par le virus de la rougeole rend l’organisme vulnérable à d’autres bactéries et virus pendant la durée de l’infection, mais elle peut par ailleurs détruire l’immunité précédemment acquise contre d’autres agents pathogènes, ce qui expose les personnes à un risque plus élevé de contracter d’autres maladies, même après avoir éliminé le virus de la rougeole de leur organisme.

Dans une étude qui a fait date, publiée en 2019 dans la revue Science, Michael J. Mina, de Harvard, et ses coauteurs ont découvert que « la rougeole entraînait l’élimination de 11 à 73 % du répertoire d’anticorps chez les individus ... Et il convient de noter que ces effets sur le système immunitaire n’ont pas été observés chez les nourrissons vaccinés contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR). »

« D’une certaine manière, l’infection par le virus de la rougeole met le système immunitaire en mode par défaut », a déclaré Mansour Haeryfar, professeur d’immunologie à l’université Western au Canada, à la BBC. L’organisme « oublie » définitivement comment lutter contre les agents pathogènes qui lui sont familiers. Il peut apprendre à nouveau – mais apprendre signifie survivre à une nouvelle infection, à une autre menace – potentiellement, au niveau de la population, survivre à une autre épidémie.

Girls in Pakistan proudly show the ink mark on the tip of their finger. It proves that she has been vaccinated against measles and rubella. Credit: Gavi/2021/Asad Zaidi
Au Pakistan, les filles montrent fièrement la marque d’encre au bout de leur doigt. Elle prouve qu’elles ont été vaccinées contre la rougeole et la rubéole.
Crédit : Gavi/2021/Asad Zaidi 

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