Portrait vaccinal : le vaccin contre l’hépatite B

L'hépatite B tue chaque année plus de personnes que les maladies liées au sida, et pourtant il existe un vaccin efficace. Pour lutter contre cette maladie, il faut que chaque enfant puisse y avoir accès.

  • 30 octobre 2023
  • 8 min de lecture
  • par Linda Geddes
Illustration en 3D de virus de l’hépatite B
Illustration en 3D de virus de l’hépatite B
 

 

On l'appelle souvent le tueur silencieux car, pendant des années, le virus de l’hépatite B peut infecter sans être détecté, et continuer à se propager discrètement, avant que les symptômes d'une maladie hépatique grave ou d'un cancer du foie ne se manifestent. Dans d'autres cas, la personne infectée n’est jamais gravement malade, mais la découverte qu'elle est porteuse du virus peut la condamner à vivre dans l’angoisse pendant des dizaines d’années.

Sur dix jeunes enfants qui attrapent le virus, neuf vont développer une hépatite B chronique, et environ un quart d'entre eux vont finir par mourir d'une maladie du foie. C'est pourquoi la vaccination des nourrissons et des enfants contre le VHB est si importante.


« Chaque fois que j'ai mal sur le côté, je suis toujours angoissé. Je me demande : "Est-ce que c’est mon foie, est-ce que c’est un cancer du foie ?" C’est ce que nous confie le Dr Thomas Tu, chercheur à l'université de Sydney, en Australie, qui travaille sur le virus de l'hépatite B, et qui a découvert à 14 ans qu'il avait été infecté.

« Même quand je fais quelque chose d’anodin, par exemple quand je tiens un bébé dans mes bras, il faut vraiment que je fasse attention. J’ai peur de lui transmettre le virus par de petites égratignures, ou quelque chose de ce genre. Bien sûr, il faudrait que l’on ait tous les deux des égratignures, le bébé et moi, et qu’elles soient en contact ; le virus se transmet par le sang. Mais je ne peux m’empêcher d’y penser. »

La première description d’une épidémie de jaunisse figure sur des tablettes d'argile sumériennes datant du troisième millénaire avant notre ère. Les Sumériens pensaient que la cause de la jaunisse, c’était un démon nommé Ahhazu qui attaquait le foie, siège de l'âme. Des épidémies de jaunisse ont également été signalées par les Grecs et les Romains au Moyen Âge et au cours de diverses campagnes militaires, dont le siège de Saint-Jean-d'Acre en 1799, ainsi que pendant la guerre de Sécession.

Souvent silencieuse, parfois mortelle

Cent fois plus infectieuse que le VIH et responsable d'environ 884 000 décès dans le monde chaque année, l'hépatite B n'a jamais disparu. Mais sans la vaccination systématique des enfants, le bilan mondial des décès et des maladies graves liés à cette maladie serait bien plus lourd. Même si la vaccination réduit considérablement le taux d'infection chez les enfants et les adolescents, l'hépatite B reste un problème majeur de santé publique car il existe un grand nombre de porteurs et il est difficile de s'assurer que les enfants vaccinés reçoivent bien les trois doses requises.

L’infection du foie par le virus de l'hépatite B (VHB) entraîne, chez certains sujets, une infection dite aiguë, qui ne dure que quelques semaines et se traduit par différents symptômes : jaunissement du blanc des yeux et de la peau, nausées, vomissements, douleurs abdominales, urines foncées, et une grande fatigue. Certains de ces patients peuvent développer une insuffisance hépatique qui peut être mortelle, tandis que d'autres ne présentent aucun symptôme.

Environ 95 % des adultes qui survivent à cette première infection parviennent à éliminer le virus de leur organisme sans autre conséquence pour leur santé. Toutefois, plus une personne est jeune lorsqu'elle est infectée, plus elle risque de développer une infection à vie appelée hépatite B chronique, qui peut éventuellement entraîner de graves lésions du foie (cirrhose) ou un type particulier de cancer du foie appelé carcinome hépatocellulaire.

Sur dix nourrissons infectés, neuf vont développer une hépatite B chronique, et environ un quart d'entre eux risquent de mourir d'une maladie hépatique grave - c'est pourquoi la vaccination des nourrissons et des enfants contre le VHB est si importante. Parmi les adultes et les enfants plus âgés qui sont infectés de manière chronique par le VHB, environ 15 % mourront de complications liées à l'hépatite.

« Ce qui est pernicieux avec l'hépatite B, c’est qu'on peut être infecté à la naissance, mais les symptômes peuvent ne se manifester que 40, 50 ou 60 ans plus tard. Et alors, les premiers signes sont révélateurs d’une maladie avancée : insuffisance hépatique ou cancer du foie », explique le Dr Tu, âgé aujourd'hui de 35 ans. « À ce stade, c’est trop tard ; on ne peut plus rien faire ».

Des vies gâchées par la stigmatisation

Le virus se transmet par les fluides corporels : sang, sécrétions vaginales ou sperme. Certains adultes ont été infectés à la suite de transfusions sanguines ou par du matériel médical contaminé, par le partage de seringues ou des rapports sexuels non protégés.

Malheureusement, ces modes de transmission ont engendré une stigmatisation autour de la maladie, ce qui contribue à la solitude et à l’isolement des personnes chez qui l’hépatite est diagnostiquée. Pourtant, la majorité des infections chroniques par l'hépatite B sont dues à une contamination survenue à la naissance ou peu après, le virus étant transmis de la mère infectée à son enfant. C'est très probablement de cette manière que le Dr Tu a été contaminé. Le virus peut également être transmis d'un enfant à l'autre, par exemple par des égratignures à l’occasion de jeux brutaux ou suite au partage de brosses à dents.

« J'ai soigné plusieurs jeunes femmes (probablement infectées à la naissance) qui ont été anéanties lorsqu'elles ont découvert qu'elles étaient infectées par le VHB, à cause des croyances erronées sur les voies probables de transmission du virus. Elles ne comprenaient pas comment elles avaient pu être infectées, car elles étaient encore vierges et n'avaient pas d'antécédents de consommation de drogues injectables », explique le Dr Mark Douglas, virologue et spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital Westmead et à l'université de Sydney, qui traite régulièrement des patients atteints d'hépatite chronique.

« Il est arrivé qu’une jeune femme ait été battue par son père, ostracisée par toute sa famille et chassée de chez elle. Il y a eu des cas où des mariages ont été brisés suite au diagnostic de VHB [chez l’un des deux partenaires], l’infection ayant été attribuée à une infidélité ».

Développement du vaccin et couverture vaccinale

Le VHB n'est pas la seule cause d'hépatite virale : il existe également des virus des hépatites A, C, D et E. Ce n'est toutefois qu'au début des années 1960 que la protéine de surface du VHB a été découverte, ouvrant la voie à des tests de diagnostic permettant de distinguer ces différents virus, et à la mise au point du premier vaccin contre le VHB.

Le vaccin actuel contre l'hépatite B est un vaccin sous-unitaire à base de protéines, contenant une protéine présente à la surface du virus, l'antigène de surface du VHB (HBsAg). L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande de commencer à vacciner tous les nouveau-nés le plus tôt possible après la naissance (dans les 24 heures). Le nourrisson devrait recevoir ensuite deux ou trois doses à au moins quatre semaines d’intervalle. La protection dure au moins 20 ans et probablement toute la vie.

Entre 1990 et 2019, la proportion d'enfants qui ont reçu les trois doses de vaccin est passée de 1 % à 85 % à l’échelle mondiale. Cela a permis de réduire considérablement la transmission du virus au cours des cinq premières années de vie, les infections chroniques par le VHB chez les enfants de moins de cinq ans étant désormais inférieures à 1 %, contre environ 5 % à l'époque où le vaccin n'existait pas encore. Les résultats varient toutefois d'une région à l'autre. Si 14 pays d'Afrique ont atteint une prévalence inférieure à 1 %, ce taux est plus proche de 2,5 % dans l'ensemble de l'Afrique subsaharienne.

La couverture avec la première dose à la naissance est également relativement faible : 43 % au niveau mondial et seulement 6 % dans la Région africaine de l'OMS. Un des grands problèmes, c’est d’avoir accès aux mères dans les 24 heures qui suivent l'accouchement dans les pays où, bien souvent, les naissances ne sont pas encadrées par des professionnels de santé. En novembre 2018, le Conseil d'administration de Gavi a décidé d’apporter son soutien au déploiement de la vaccination contre l'hépatite B à la naissance dans les pays à faible revenu, sous réserve de la disponibilité des fonds pour la période stratégique 2021-2025.

L'OMS s'est également fixé pour objectif d'éliminer les hépatites causées par le virus de l’hépatite B et de l'hépatite C en tant que menace pour la santé publique d'ici à 2030. Pour y parvenir, il ne suffira pas d'augmenter les taux de vaccination des enfants, car le vaccin préventif n'a aucun effet sur les infections existantes. Selon l'OMS, 296 millions de personnes vivaient avec une hépatite B chronique en 2019, et l’on dénombre 1,5 million de nouvelles infections chaque année.

Efficacité et limites du traitement de l'hépatite B

Il convient de renforcer le dépistage et le diagnostic chez les adultes, en particulier chez les femmes enceintes. Si le test est positif chez ces dernières, l'OMS recommande de leur administrer des médicaments antiviraux pour diminuer la charge virale et réduire ainsi le risque de transmission au bébé. Les antiviraux peuvent également être administrés aux adultes chroniquement infectés par le VHB pour réduire la charge virale.

« La limite de ces médicaments, c’est qu’il s’agit d’un traitement à vie », explique le Dr Tu. « Dès qu’on arrête de les prendre, le virus réapparaît. Il faut donc prendre – et acheter - ces médicaments à vie, ce qui n'est pas à la portée de beaucoup de monde ».

D'autres stratégies visent à éviter la transmission du virus par le sang (dépistage des donneurs de sang, stérilisation adéquate du matériel médical), ou lors de contacts sexuels (recours à des pratiques sûres, notamment à l'utilisation de préservatifs).

Ceux qui, comme le Dr Tu, mènent des recherches sur l’hépatite, se focalisent sur le développement de médicaments capables d'éliminer complètement le virus chez les personnes chroniquement infectées. Alors que le virus existe depuis des millénaires, c’est seulement au cours des 15 dernières années que les chercheurs ont réussi à le cultiver en laboratoire et à infecter les cellules in vitro, étape essentielle pour trouver un remède.

En attendant, le Dr Tu conseille aux personnes infectées par le VHB de se documenter et de chercher de l’aide auprès d’autres personnes infectées. À cette fin, il a créé un forum international de discussion, animé par des chercheurs et des bénévoles. Ce forum, dénommé HepBCommunity.org, a pour but d'aider les personnes vivant avec l'hépatite B et souffrant de cette maladie.

Ce qui est important, selon lui, c’est que les patients réalisent qu'ils ne sont pas seuls : « Il y a près de 300 millions de personnes atteintes de cette maladie à travers le monde. C’est deux fois plus que le nombre de personnes qui ont les yeux verts.

« L'autre chose importante à savoir, c’est que le diagnostic d’infection par l'hépatite B n’est pas une condamnation à mort. Dans la plupart des cas, c’est une maladie que l’on peut traiter, soit par une surveillance continue, soit par des médicaments. Elle n’entraîne pas inéluctablement la mort ».