En RDC, des solutions locales rapprochent la vaccination des familles

En République Démocratique du Congo, des centaines de milliers d’enfants n’ont encore reçu aucun vaccin. Grâce au Fonds Accélérateur d’Équité, des approches conçues localement — de la Tshopo au Haut-Katanga — commencent à lever les obstacles logistiques, sociaux et culturels qui freinent la vaccination.

  • 6 octobre 2025
  • 7 min de lecture
  • par Patrick Kahondwa
Acheminer les vaccins jusqu’aux centres de santé les plus isolés : un défi quotidien dans la province de la Tshopo. Crédit : Anne Marie
Acheminer les vaccins jusqu’aux centres de santé les plus isolés : un défi quotidien dans la province de la Tshopo. Crédit : Anne Marie
 

 

La République Démocratique du Congo fait partie des pays où le nombre d’enfants zéro dose reste le plus élevé au monde.

Selon les estimations OMS/UNICEF (WUENIC), environ 658 000 enfants n’avaient reçu aucune dose de vaccin en 2023, un chiffre ramené à 592 000 en 2024 grâce à une légère hausse de la couverture DTP1 (de 80 % à 82 %).

Les défis restent considérables : la couverture DTP3, indicateur de complétude vaccinale, reste faible, avec seulement 60 % en 2023 et 65 % en 2024.

Les raisons sont multiples : immensité du territoire, distances, manque d’infrastructures, mais aussi barrières sociales et culturelles. En 2022, une enquête a révélé que trois quarts des enfants zéro dose vivaient dans seulement 11 provinces, sur les 26 que compte le pays.

Pour faire face à ces difficultés persistantes, Gavi a créé le Fonds Accélérateur d’Équité (FAE). Ce mécanisme, doté de 500 millions de dollars à l’échelle mondiale, finance des initiatives conçues et mises en œuvre localement pour réduire les inégalités d’accès à la vaccination. Son principe est simple : s’attaquer aux obstacles très concrets qui empêchent encore trop d’enfants d’être vaccinés — qu’il s’agisse de problèmes logistiques (chaîne d’approvisionnement, distances, stockage), d’organisation des services (jours et horaires de vaccination, points de rassemblement) ou encore de barrières sociales et culturelles qui découragent certaines familles.

Lancé en 2021, le FAE fonctionne à deux niveaux : une partie des fonds (400 millions de dollars) est directement versée aux pays soutenus par Gavi, pour financer leurs propres solutions afin d’atteindre les enfants zéro dose. L’autre partie (100 millions de dollars) alimente des programmes spécifiques, comme le Zero-dose Immunisation Programme (ZIP), mis en œuvre dans des contextes de fragilité et de déplacement des populations.

En République Démocratique du Congo, le FAE a déjà permis de tester et d’étendre des approches nouvelles dans plusieurs provinces. Dans la Tshopo, il s’est attaqué au problème des ruptures de stock en renforçant la chaîne d’approvisionnement. Dans le Haut-Katanga, il a permis d’expérimenter des stratégies de proximité adaptées aux réalités quotidiennes des familles.

Dans la Tshopo : la fin des longues marches pour les vaccins

Dans la Tshopo, de nombreux soignants étaient contraints de marcher des kilomètres pour s’approvisionner en vaccins.

C’est le cas de Botalimbo Wangata, infirmier titulaire du centre de santé Yaselia dans la zone de santé de Yakusu, dans le sud-ouest de Kisangani, chef-lieu de la province. Au début de chaque mois, il était obligé de parcourir plus de 80 km, parfois à pied, pour récupérer les vaccins. Le temps consacré à ce voyage le poussait à annuler ou à reporter certaines séances de vaccination, faute de vaccins disponibles.

« Espérant revenir à temps pour immuniser les enfants de ma zone de santé, je revenais parfois les mains vides suite aux ruptures des stocks, aux pannes de chaîne de froid, ou à une logistique défaillante », raconte-t-il.

Il poursuit : « Ce manque de séances de vaccination suscitait beaucoup de doutes chez les parents et gardiennes d’enfants, jusqu’à leur faire oublier le calendrier vaccinal. Cette situation n’épargnait aucun site de stockage de la zone de santé. Nous élaborons souvent des commandes de vaccins avec mon équipe, mais il nous arrive de les recevoir en retard. Cela ne motivait pas les parents d’enfants à participer massivement aux séances de vaccination. »

À l’instar de Botalimbo, Charles Djamba, infirmier titulaire au centre de santé Saint-Pierre dans la zone de santé de Makiso-Kisangani, était obligé d’attendre près de trois mois pour aller s’approvisionner en vaccins au niveau du bureau central, en raison des ruptures de stock de certains antigènes, qui pouvaient durer plus de 20 jours.

Depuis près de deux ans, l’ONG VillageReach, grâce au soutien du FAE, aide à améliorer la chaîne d’approvisionnement des vaccins. Concrètement, cela passe par la mise en place de l’Initiative “Nouvelle Génération des Chaînes d’Approvisionnement” (NGCA), qui vise à renforcer les chaînes d’approvisionnement au dernier kilomètre, en augmentant la disponibilité des produits de santé essentiels et en développant des capacités de gestion logistique à tous les niveaux.

Avec un financement complémentaire de Gavi, l’organisation appuie aussi la coordination de la logistique des vaccins au niveau provincial : appui à l’équipe logistique provinciale du PEV, supervision conjointe, suivi plus rigoureux des stocks, inventaires réguliers, délais de livraison et conditions de conservation mieux respectés et réunions entre acteurs pour s’assurer que les vaccins arrivent bien des antennes jusqu’aux sites de stockage où ils sont stockés dans des conditions optimales grâce notamment à une renforcement de la maintenance des équipements de la chaine du froid. Une partie importante de l’appui de VillageReach est ciblée sur le renforcement des acteurs de la logistique vaccinale à tous les niveaux.

« Pour la chaîne d’approvisionnement, on était dans des ruptures fréquentes. Maintenant, on a une moyenne d’environ 80 % de taux de disponibilité. Aujourd’hui, la chaîne d’approvisionnement est mieux maîtrisée : les réunions régulières rassemblent tous les acteurs, et les distributions sont désormais planifiées et suivies de près par l’ensemble des parties prenantes », se réjouit Dr Alain Mugoto, responsable du programme NGCA au sein de VillageReach.

Dans le Haut-Katanga : des horaires adaptés aux familles

Là où la Tshopo a surtout bénéficié d’une logistique renforcée, le Haut-Katanga a innové du côté de l’organisation des services.

Des approches innovantes ont été mises en œuvre pour améliorer l’accès à la vaccination, notamment l’adaptation des horaires aux contraintes des familles, le porte-à-porte et les points de concentration.

Entre janvier et juillet 2025, près de 60 000 enfants zéro dose et 43 000 enfants sous-vaccinés ont bénéficié de la vaccination, selon les données de la plateforme DHIS 2 de la RDC. Si toutes ces stratégies ont contribué à l’atteinte de ces résultats, la stratégie d’horaires adaptés aux familles a permis d’atteindre près de 90 % de la cible.

À Ruashi comme dans d’autres zones de santé du Haut-Katanga, de nombreux infirmiers titulaires ont pu adapter leurs heures et jours de vaccination pour atteindre un grand nombre d’enfants. Certains vaccinent le soir, le week-end ou encore le jour des cultes, afin de s’assurer qu’aucun enfant ne manque son vaccin.

John Banza, infirmier titulaire de l’aire de santé Notre-Dame dans la zone de santé de Ruashi, témoigne :

« Avant le FAE, on avait un faible taux de couverture vaccinale car les parents étaient contraints de se conformer aux jours et heures fixés par le centre de santé. Aujourd’hui, avec le programme adapté, on constate une nette amélioration. Un parent peut aller à ses activités et venir après pour faire vacciner son enfant. »

L’horaire adapté a été une satisfaction pour de nombreux parents qui autrefois ne pouvaient pas amener leurs enfants à la vaccination faute de temps.

« Mon travail me prend trop de temps. Je passe la plupart de mon temps dans ma ferme et il n’y a que le dimanche que je suis libre. Pendant que les agents de santé passaient, ils ne me retrouvaient pas à la maison. Et dans ma logique, je ne laisse pas mes enfants entre les mains de n’importe qui. Mais grâce à cet horaire, mes enfants sont vaccinés et mon travail n’est pas impacté », déclare Bibi, mère de deux enfants.

Changement de perception : de nouveaux soutiens à la vaccination

Il n’y a pas que l’indisponibilité des parents ou l’accessibilité de certaines zones qui constituent une barrière à la vaccination des enfants. L’expérience du Haut-Katanga montre que certains pères de famille estimaient que la vaccination était une « histoire de femmes » et que seules les mères devaient amener les enfants.

D’autres, par crainte des coûts d’achat de médicaments pour soigner d’éventuels effets secondaires, préféraient cacher leurs enfants au moment où les services de vaccination passaient.

Aujourd’hui, grâce au FAE, cette perception change progressivement. De plus en plus de mères sont encouragées par leurs époux à faire vacciner leurs enfants. Certains pères a utrefois réfractaires amènent eux-mêmes leurs enfants.

C’est le cas de Serge Kiwele, habitant de la zone de santé de Ruashi, devenu un ambassadeur auprès de ses pairs :

« Je refusais la vaccination pour mes enfants. Un jour, ma femme avait fait vacciner notre enfant sans mon autorisation. Je l’avais vraiment grondée car l’enfant n’arrivait pas à dormir toute la nuit à cause de la fièvre. Actuellement, avec les différentes sensibilisations, j’ai compris l’importance de la vaccination. Je sensibilise également d’autres personnes de ma communauté qui ont encore de fausses perceptions. Mes enfants sont complètement vaccinés. »