Qu'est-ce que le stock de vaccins contre Ebola ?
Le virus Ebola peut tuer jusqu’à 90 % des personnes qu’il infecte, mais grâce au stock mondial de vaccins, chaque flambée survenue depuis 2021 a pu être rapidement maîtrisée.
- 5 mai 2025
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- par Priya Joi

Lorsque Cheedy Jaja, professeur en sciences infirmières à l’université de Caroline du Sud, a commencé son service à l’hôpital de Port Loko en Sierra Leone, tôt le matin du 25 décembre 2014, il a ressenti un mélange intense de panique, de peur et d’angoisse. Infirmier expérimenté, il a répondu à « l’appel » qu’il dit avoir ressenti en apprenant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, et a décidé de se porter volontaire.
Mais dès son premier jour, il a découvert un jeune patient allongé, mort sur le sol, et s’est dit : « Mon Dieu, je ne suis pas un héros. Faites-moi sortir d’ici. » L’hôpital baignait, selon lui, dans un « sentiment existentiel constant d’insécurité et une impression persistante de catastrophe imminente ».
Peu d’épidémies ont été aussi profondément traumatisantes que celle d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014. Lorsque l’épidémie a pris fin en 2016, près de 30 000 personnes avaient été infectées et 11 000 étaient mortes. Cette perte humaine s’est accompagnée de lourdes conséquences économiques : le PIB perdu est estimé entre 2,8 et 32,6 milliards de dollars US.
Les pays touchés – la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria – n’étaient pas préparés à faire face à une maladie aussi mortelle, capable de tuer jusqu’à 90 % des personnes qu’elle infecte et provoquant des symptômes allant des vomissements et de la fièvre à des saignements par les yeux. Dans ces pays, les personnels de santé étaient rares, et certaines zones sortaient tout juste de conflits ou de troubles civils.
En l’absence de vaccin au début de l’épidémie, les mesures de contrôle reposaient sur une règle : éviter tout contact avec les fluides corporels des personnes décédées – en particulier le sang, les selles ou les vomissures – car c’est ainsi que se transmet le virus Ebola.
Cela impliquait que les morts soient enterrés dans des linceuls par des soignants habillés comme des astronautes, sans la présence de leurs proches – une situation qui a engendré de fortes tensions entre les communautés locales et les autorités sanitaires.
L’ampleur de l’épidémie et le risque qu’elle faisait peser sur la sécurité sanitaire mondiale ont déclenché une course au développement d’un vaccin contre Ebola.
En 2015, le vaccin rVSV-ZEBOV développé par Merck a été administré en Guinée, dans le cadre d’un usage compassionnel, à des personnes exposées au risque d’infection. Ce vaccin a été évalué dans un essai impliquant 11 841 personnes. Parmi les 5 837 personnes vaccinées, aucun cas d’Ebola n’a été enregistré dix jours ou plus après l’injection.
Qu’est-ce que le stock de vaccins contre l’Ebola ?
Il s’agit d’une réserve mondiale du vaccin rVSV-ZEBOV, financée par Gavi et gérée à l’échelle internationale, créée pour garantir un accès rapide et équitable à une immunisation vitale lors des épidémies.
Lancée en janvier 2021, cette réserve est coordonnée par le Groupe international de coordination pour l’approvisionnement en vaccins (ICG), qui réunit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’UNICEF, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) et Médecins Sans Frontières (MSF).
Pour aller plus loin
Le vaccin rVSV-ZEBOV est un vaccin injectable à dose unique, développé par Merck. Le stock est maintenu à un niveau cible de 500 000 doses, conformément aux recommandations du Groupe stratégique consultatif d’experts sur la vaccination (SAGE) de l’OMS.
Ce stock est véritablement mondial : tout pays déclarant un ou plusieurs cas d’Ebola peut faire une demande pour recevoir rapidement des doses afin d’aider à contenir la flambée. Les pays à revenu faible ou intermédiaire éligibles au soutien de Gavi peuvent y accéder gratuitement, et bénéficier également d’un appui opérationnel essentiel pour déployer les vaccins.
Le stock est conservé en Suisse et géré par l’UNICEF. Lorsqu’ils sont nécessaires, les vaccins peuvent être expédiés dans les pays touchés en moins de sept jours, avec un emballage adapté à la chaîne du froid ultra-basse (-80 °C) pour préserver leur efficacité pendant le transport.
Pourquoi avons-nous besoin d’un stock de vaccins contre Ebola ?
Les épidémies d’Ebola peuvent se propager avec une rapidité qui dépasse les capacités de contrôle. Lors de l’épidémie de 2014, avant qu’un vaccin ne soit disponible, le virus s’est propagé à une vitesse pouvant atteindre 267 kilomètres par semaine en Guinée.
Le stock constitue un outil central de la préparation mondiale face aux urgences sanitaires. Il permet une réponse coordonnée et internationale, et aide à empêcher qu’une flambée locale ne devienne une urgence sanitaire régionale ou mondiale.
Étant donné que les épidémies sont relativement rares et sporadiques, il n’existe aucun marché commercial naturel pour ce vaccin.
Sans stock, les fabricants n’auraient aucune incitation à produire et maintenir une réserve, ce qui pourrait entraîner des pénuries en cas de besoin urgent. Le modèle de stock permet de surmonter cet obstacle : en mutualisant les ressources et en garantissant une demande, il assure la disponibilité des vaccins en temps voulu.
Le vaccin est principalement réservé à la réponse aux épidémies, avec une stratégie dite de « vaccination en anneau ». Cela consiste à vacciner les contacts d’un patient infecté, ainsi que les contacts de ces contacts, afin de créer un « anneau » de protection autour du cas confirmé et ainsi empêcher la propagation du virus.
En second lieu, le stock peut aussi être utilisé à des fins préventives dans les zones où un risque d’épidémie est identifié, pour protéger les personnes les plus exposées, comme les soignants et les travailleurs de première ligne. Ces groupes, souvent les premiers à être exposés, sont cruciaux dans la réponse à l’épidémie. Cette approche a été utilisée pour la première fois en décembre dernier en Sierra Leone, pour protéger les agents de santé.
« Toutes les épidémies d’Ebola survenues depuis la mise en place du stock ont été rapidement stoppées – grâce aux vaccins et aux autres mesures de réponse rapides », explique Allyson Russell, épidémiologiste et cheffe de programme principale au sein de l’équipe Gavi chargée des flambées à fort impact.
Utiliser le stock non seulement pour la réponse, mais aussi pour la prévention
L’un des défis liés au maintien d’un stock de vaccins est d’assurer une disponibilité constante des doses, tout en évitant qu’elles n’arrivent à expiration.
« Lorsqu’aucune épidémie n’est en cours, nous cherchons à utiliser de manière efficace les vaccins stockés en vaccinant de manière préventive les travailleurs de première ligne les plus exposés, afin d’être mieux préparés à la prochaine flambée », explique Allyson Russell.
Bien que la gestion de ce stock de vaccins contre Ebola soit un exercice d’équilibre complexe — entre logistique de la chaîne du froid à très basse température, production fiable et confiance des communautés —, cette réserve demeure un outil essentiel pour une réponse rapide et efficace aux épidémies d’Ebola.
« Il est crucial de maintenir ce stock pour faire face aux futures épidémies et protéger la sécurité sanitaire mondiale », souligne Russell.