Portrait vaccinal : le vaccin contre le pneumocoque

Les vaccins antipneumococciques ont permis de réduire considérablement le nombre de décès dus à la pneumonie et à la méningite, mais ils ne protègent pas contre toutes les souches bactériennes, et la résistance aux antibiotiques est une menace croissante.

  • 14 décembre 2023
  • 8 min de lecture
  • par Linda Geddes
Illustration 3D de la bactérie Streptococcus pneumoniae
Illustration 3D de la bactérie Streptococcus pneumoniae
 

 

Au début du XXe siècle, l’administration sud-africaine entreprend la mission de revitaliser l'économie du pays après la deuxième guerre des Boers. Il s'agit notamment d’essayer de rentabiliser à nouveau les mines d'or du pays. Pour ce faire, les propriétaires des mines commencent à recruter des hommes au-delà des frontières de l'Afrique du Sud pour travailler sous terre dans des conditions dangereuses et insalubres.

Comme les mineurs arrivent souvent en mauvaise santé et sont logés dans des baraquements surpeuplés, les infections telles que la grippe et la pneumonie se propagent rapidement, tuant chaque année près d’un mineur sur dix. La pneumonie à pneumocoque, due à la bactérie Streptococcus pneumoniae (pneumocoque), est la plus meurtrière de toutes. Au cours des quatre premiers mois de travail dans les mines, 1 à 2 % des hommes sont infectés par cette bactérie, et 25 à 56 % de ceux dont l’infection est confirmée en décèdent.

Le pneumocoque est toujours la principale cause de pneumonie et de méningite bactérienne dans le monde. La pneumonie tue chaque année quelque 740 000 enfants de moins de cinq ans, ce qui en fait la principale cause infectieuse de décès chez les enfants.

Les mineurs n’ont pas été les seules victimes du pneumocoque. Un siècle plus tard, le pneumocoque est toujours la principale cause de pneumonie et de méningite bactérienne dans le monde. La pneumonie tue chaque année quelque 740 000 enfants de moins de cinq ans, ce qui en fait la principale cause infectieuse de décès chez les enfants.

L'introduction des vaccins antipneumococciques conjugués (VPC) a considérablement réduit la charge de morbidité et de mortalité, mais des millions d'enfants ne sont toujours pas vaccinés et les vaccins existants ne protègent pas contre toutes les souches de pneumocoque. Et même si les antibiotiques permettent de traiter efficacement la maladie, le problème de la résistance aux antimicrobiens (RAM) ne cesse de s’aggraver.

La maladie invasive à pneumocoque

Les pneumocoques sont des bactéries qui peuvent provoquer des infections dans diverses parties du corps, notamment les oreilles (otite), les sinus (sinusite), les poumons (pneumonie), le sang (bactériémie) ou la paroi du cerveau et de la moelle épinière (méningite).

Il en existe au moins 90 types différents, qui se transmettent par contact direct avec les gouttelettes respiratoires lorsque les personnes infectées toussent ou éternuent. Le risque d'infection varie selon la saison. Dans les climats tempérés, l’incidence des infections à pneumocoque atteint son maximum pendant les mois les plus froids, tandis que dans les régions avec une saison sèche et une saison humide, ils sont plus élevés pendant les mois secs.

Les symptômes dépendent de la partie du corps qui est affectée, mais les personnes atteintes de pneumonie peuvent présenter une toux, de la fièvre, des douleurs thoraciques et des problèmes respiratoires. La méningite se caractérise par de la fièvre, une raideur de la nuque, une sensibilité à la lumière, des maux de tête et une confusion, tandis que la bactériémie est associée à de la fièvre, des frissons et des troubles de la vigilance. Les personnes âgées et les jeunes enfants sont les plus exposés au risque de maladie grave, en particulier s'ils souffrent d'autres maladies chroniques (cardiaques, pulmonaires ou rénales).

Sur les 5,83 millions de décès estimés chez les enfants de moins de cinq ans en 2015, quelque 294 000 étaient dus à des infections à pneumocoque, la majorité en Afrique et en Asie. Chez les enfants atteints d'infection pneumococcique invasive grave, (bactériémie ou méningite), les taux de létalité varient de 20 à 50 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

La pneumonie à pneumocoque peut être mortelle, quelle que soit la région du monde. Aux États-Unis, elle tue environ une personne sur 20, tandis que la méningite à pneumocoque tue environ un enfant sur 12 et une personne âgée sur six. Ceux qui s'en sortent peuvent souffrir de problèmes à plus long terme, perte de l'audition ou retard de développement. La bactériémie à pneumocoque tue environ un enfant sur 30 et un adulte sur huit aux États-Unis, et les survivants peuvent avoir à subir l’amputation d’un membre infecté.

Les premiers vaccins

Les efforts visant à créer un vaccin contre le pneumocoque ont débuté en 1911, lorsque des représentants de l'industrie minière sud-africaine ont contacté un médecin britannique, Almroth Wright, qui avait déjà travaillé sur un vaccin contre la fièvre typhoïde.

Wright a adopté la même approche pour lutter contre le pneumocoque : il a injecté des bactéries entières tuées par la chaleur à des milliers d'ouvriers immigrés qui travaillaient dans les mines d'or près de Johannesburg. Les résultats de ces premiers essais de vaccins ont été encourageants, suggérant une réduction substantielle des cas de pneumonie et des décès après l'inoculation.

Cependant, il est rapidement apparu que le pneumocoque n'était pas un ennemi aussi simple, mais qu'il existait plusieurs "sérotypes", c'est-à-dire des groupes qui, tout en appartenant à la même espèce de micro-organisme, partagent des structures de surface distinctes. Une fois que les chercheurs ont compris comment les identifier, ils ont entrepris de combiner ces bactéries entières, tuées, dans des vaccins multivalents pour protéger contre plusieurs sérotypes de pneumocoque.

Les vaccins polysaccharidiques

Dans les années 1930 et 1940, les chercheurs ont commencé à tester des vaccins antipneumococciques à base de polysaccharides (VPP) dérivés de la "capsule" qui entoure le pneumocoque comme une sorte de manteau. Cette capsule varie selon les sérotypes, et les chercheurs ont découvert qu'il s'agissait d'une partie essentielle de la bactérie, reconnue par le système immunitaire.

Mais avec la découverte de la pénicilline, l'intérêt pour les vaccins antipneumococciques a diminué et leur développement a été stoppé. Il paraissait plus simple de traiter les infections à pneumocoque avec les antibiotiques. Mais même si la pénicilline a permis de réduire le nombre de décès dus aux pneumocoques, elle ne les a pas éliminés - en particulier ceux qui surviennent au cours des 96 premières heures de l'antibiothérapie.

En 1977, Merck obtient l’homologation d’un vaccin VPP contenant les polysaccharides capsulaires de 14 souches de pneumocoque, puis en 1983 l’homologation d’un vaccin (Pneumovax) contenant 23 polysaccharides capsulaires, toujours utilisé actuellement. Une méta-analyse des résultats de plusieurs études, publiée en 2008, a montré que les vaccins polysaccharidiques avaient permis de réduire de 82 % l'incidence de l’ensemble des infections invasives à pneumocoque chez les adultes, au niveau mondial.

Mais les vaccins polysaccharidiques sont généralement inefficaces chez les enfants de moins de deux ans, qui constituent le groupe le plus exposé aux infections à pneumocoque, probablement en raison de l'immaturité de leur système immunitaire.

Les vaccins conjugués

Pour surmonter ce problème, il fallait trouver un moyen de stimuler la réponse immunitaire. Les chercheurs ont alors commencé à attacher chimiquement ces polysaccharides capsulaires à une forme inactivée de la toxine diphtérique, appelée anatoxine, que le système immunitaire reconnaît facilement.


L'année 2000 a été marquée par la publication d'un essai clinique évaluant le premier de ces vaccins conjugués contre le pneumocoque (VPC) - conçu pour protéger contre les sept souches les plus courantes de pneumocoque - chez 37 868 nourrissons de Californie du Nord. L'étude a montré une diminution de l'incidence des méningites à pneumocoque de plus de 95 % chez les nourrissons complètement vaccinés et une l'efficacité contre l’ensemble des maladies invasives à pneumocoque supérieure à 97 %. Ce vaccin, connu sous le nom de VPC7 ou Prevenar7, a été homologué en 2000.

Mais le pneumocoque n'a pas été vaincu pour autant. Aussi efficace que soit le VPC7 contre les souches qu'il couvre, son utilisation systématique a commencé à être associée à une incidence croissante de maladies causées par une souche différente, le sérotype 19A - phénomène connu sous le nom de "remplacement de sérotype". Ce phénomène a mis en évidence l'intérêt de vacciner contre un plus grand nombre de souches. Des VPC couvrant 10, 13 et 15 souches ont été mis au point. Dans certains vaccins, les polysaccharides sont conjugués à la toxine diphtérique ; dans d'autres, à l'anatoxine tétanique ou à la protéine D (une protéine de la membrane externe de Haemophilus influenzae).

En 2021, les vaccins conjugués offrant une protection contre 15 et 20 souches de pneumocoque ont été approuvés aux États-Unis pour les adultes, puis en Europe fin 2021/début 2022, tandis que des VPC couvrant plus de 20 souches sont également en cours de développement.

Trois VPC sont actuellement préqualifiés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour une utilisation chez les nourrissons et les enfants : 1e VPC13, fabriqué par Pfizer, et deux vaccins VPC10 fabriqués par GSK et le Serum Institute of India. Les fabricants devraient bientôt soumettre à l'OMS une demande de préqualification pour des vaccins conjugués couvrant une gamme plus large de souches.

Un impact extraordinaire

L'OMS recommande d'inclure le VPC dans les programmes de vaccination des enfants du monde entier et, à la fin de l'année 2020, 148 des 194 États membres de l'OMS l'avaient introduit, dont 63 pays à faible revenu éligibles au soutien de Gavi.

L'incidence de la méningite à pneumocoque a été réduite de plus de 95 % chez les nourrissons complètement vaccinés, et l'efficacité contre l’ensemble des maladies invasives à pneumocoque est supérieure à 97 %.

Ces programmes de vaccination des enfants ont eu un impact extraordinaire sur les taux d’infections à pneumocoque dans les pays qui les ont mis en place. Par exemple, une étude réalisée en 2017 sur l'impact de la vaccination systématique des enfants en Gambie a révélé qu'elle avait permis de réduire d'environ 55 % l'incidence des maladies invasives à pneumocoque chez les enfants âgés de 2 à 59 mois, et de 30 % celle des hospitalisations pour pneumonie.

La vaccination systématique des enfants contre le pneumocoque a également permis de réduire l’incidence des infections pneumococciques chez les enfants plus âgés et les adultes non vaccinés, probablement en réduisant la circulation des souches contenues dans le vaccin.

Peu de pays disposent de politiques ou de programmes concernant la vaccination des adultes contre le pneumocoque. Ceux qui en ont sont généralement des pays à revenu élevé, et ils ciblent les adultes de plus de 65 ans ou ceux dont l'état de santé accroît le risque d'infection à pneumocoque.

Quatre vaccins sont actuellement disponibles pour la prévention des maladies pneumococciques chez les adultes : les VPC13, VPC15, VPC20 et le vaccin polysaccharidique, VPP23. La vaccination par le VPC13 ou le VPC15 est généralement suivie d'une dose de VPP23 un an plus tard. Les adultes qui reçoivent le vaccin polysaccharide VP23 ou le vaccin conjugué VPC20 n'ont généralement besoin que d'une seule dose.

Un défi permanent

De nombreux pays ont introduit la vaccination systématique des enfants avec le vaccin conjugué, mais ce n'est pas le cas de tous ; 80 % des 345 millions d'enfants qui n'ont reçu aucune dose de ce vaccin vivent dans 25 pays. Près d'un tiers de ces pays sont éligibles au soutien de Gavi et quatre d'entre eux prévoient d'introduire le VCP dans leurs programmes de vaccination systématique au cours des prochaines années. Selon une étude publiée en 2019, près de 400 000 des 672 000 décès infantiles annuels dus à la pneumonie pourraient être évités grâce à la vaccination contre le pneumocoque ; c’est pourquoi il est important de continuer à soutenir l'adoption du vaccin.

L'émergence de maladies causées par des souches de pneumocoque non couvertes par le vaccin est également un problème persistant, qui suscite des recherches sur d'autres types de vaccins, notamment les vaccins de nouvelle génération à base de protéines, les vaccins à ARNm ou les vaccins à germes entiers de pneumocoques génétiquement modifiés.

La lutte contre le pneumocoque a été longue et il reste encore du chemin à parcourir, mais on devrait pouvoir sauver encore davantage de vies grâce à aux efforts soutenus pour augmenter l'utilisation des vaccins existants et grâce aux innovations auxquelles on peut s’attendre à l’avenir.