Portrait vaccinal : le vaccin contre l’encéphalite japonaise

L'encéphalite japonaise (EJ) tue une victime sur trois et un quart des survivants environ souffrent des lésions neurologiques permanentes. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe un vaccin.

  • 29 janvier 2024
  • 8 min de lecture
  • par Maya Prabhu
Illustration 3D du virus de l'encéphalite japonaise
Illustration 3D du virus de l'encéphalite japonaise
 

 

En Uttar Pradesh, on l'appelle mastishk jvar ("fièvre cérébrale"), et depuis 2005, les médecins de la partie orientale de cet État indien ont appris à redouter son arrivée avec les pluies de la mousson.

Il n'existe pas de traitement antiviral contre l'encéphalite japonaise et, si les moustiquaires et les répulsifs peuvent contribuer à réduire le risque individuel, rien ne remplace la vaccination pour venir à bout du fléau que représente cette maladie.

Une fièvre cérébrale

Entre juillet et novembre de cette année-là, 5 737 habitants de cette région située près de la frontière avec le Népal, verdoyante et parsemée de rizières, sont tombées subitement malades, présentant les symptômes typiques d'une maladie neurologique. Tous les patients avaient moins de 15 ans, et la plupart moins de dix ans. Il s'agissait de la plus importante épidémie de syndrome d'encéphalite aiguë (SEA) jamais observée dans cette région, la première d’une telle ampleur depuis près de 30 ans. Elle allait s’avérer la plus meurtrière jamais enregistrée dans cet État.

Les patients arrivaient en masse au BRD Medical College de Gorakhpur, l'hôpital de référence de la région. « Le service numéro 6 est en ébullition permanente », écrit un journaliste sous le choc, dans une dépêche envoyée depuis la ligne de front de l'épidémie. Les enfants souffraient de fortes fièvres et de violents maux de tête, accompagnés de vomissements, d’un état de confusion et de convulsions. Chez beaucoup d’entre eux, ces symptômes étaient suivis de crises d’épilepsie, de paralysies et de coma. Les médecins ne pouvaient pas faire grand-chose, si ce n'est d’essayer de stabiliser l’état des jeunes patients en leur administrant des liquides et de l'oxygène. Cette épidémie s’est malheureusement, soldée par la mort de 1 344 enfants.

Pour les survivants, il est difficile de parler vraiment de "guérison". « Ceux qui survivent présentent des signes de retard mental et/ou des séquelles neurologiques », reconnaissait déjà l’OMS dans un communiqué publié au début de l'épidémie. Ce qui a été confirmé par une étude réalisée en 2019 au BRD Medical College lors d'une épidémie ultérieure. Elle a montré que 12,5 % de ceux avaient survécu au syndrome d’encéphalite aiguë gardaient des "séquelles graves", c'est-à-dire des handicaps majeurs. Seulement 20,7 % des survivants se sont rétablis complètement, sans aucune séquelle, même légère, à savoir sans modification durable du comportement et de l'humeur.

Le syndrome d’encéphalite aiguë (SEA) est un terme générique couvrant un ensemble de symptômes neurologiques qui peuvent avoir de nombreuses causes - bactériennes, virales ou parasitaires - ou même être liés à la toxicité de certains produits (par exemple, épidémies de SEA survenues en Inde suite à la consommation de litchi).

Mais à Gorakhpur, les responsables de la santé publique soupçonnaient ce qui s'est avéré vrai par la suite : la moitié ou plus des patients qui se présentaient dans les centres de soins étaient infectés par un seul et même agent pathogène, le virus de l'encéphalite japonaise (VEJ), principale cause d'encéphalite virale en Asie.

Un danger porté par des ailes

Le virus de l’encéphalite japonaise est un flavivirus transmis à l'homme par la piqûre de moustiques Culex infectés par des porcs ou des oiseaux aquatiques – le virus ne se développe pas suffisamment dans le sang des humains pour être transmis aux moustiques lors de leur repas sanguin. C’est ainsi que les zones d'élevage de porcs et les régions de riziculture (particulièrement appréciées par les moustiques et les échassiers) ont tendance à présenter un risque élevé d'épidémies de fièvre jaune, qui s’intensifie pendant la saison des pluies.

JE cycle


Ceci dit, il est difficile de prévoir l’incidence de la maladie, car elle fluctue considérablement entre les cycles de transmission. Selon une étude bibliographique de l'OMS, on compterait autour de 68 000 cas de fièvre jaune dans le monde au cours d'une année normale, ce qui correspond probablement à une sous-estimation ; 75 % de ces cas concernent des enfants de moins de 15 ans. La fièvre jaune entraîne autour de 15 000 à 20 000 décès chaque année. Vingt-quatre pays d'Asie et du Pacifique occidental - partie du monde qui compte trois milliards d’habitants - sont considérés comme exposés au risque.

L'exposition à un moustique infecté par le virus de l’encéphalite japonaise n’entraîne pas nécessairement une encéphalite clinique. Il faut pour cela que le virus, après s'être répliqué d'abord dans la peau puis dans les ganglions lymphatiques situés à proximité, réussisse à échapper aux défenses immunitaires de l'organisme et à se frayer un chemin jusqu'au cerveau et à la moelle épinière, pour y provoquer un œdème (il passe probablement dans le cerveau par la voie sanguine, même si les chercheurs n'ont pas encore pu déterminer précisément comment cela se passe). En fait, seulement un sujet infecté sur 250 développe une encéphalite clinique.

Mais lorsque c’est le cas, la situation est grave : les vomissements et les douleurs d'estomac sont suivis d’une phase caractérisée par une forte fièvre, des céphalées, une raideur de la nuque, une désorientation, un coma, des convulsions, une paralysie spastique, et même la mort chez 30 % de ces patients.

Survie n’est pas synonyme de guérison

Pour les autres, le bilan est mitigé. La vie d’un grand nombre survivants bascule du fait des lésions neurologiques et du handicap consécutifs à la maladie. Selon l’OMS, 20 à 30 % de ceux qui survivent « gardent des problèmes intellectuels, comportementaux ou neurologiques permanents, comme une paralysie, des convulsions récurrentes ou l’incapacité de parler ».

Mais les résultats varient selon les épidémies et les lieux où elles se produisent. Dans une étude de petite taille réalisée en Indonésie et publiée en 2009, 25 % des enfants avaient réussi à surmonter l'infection au prix de handicaps définitifs, tandis que la même proportion s’était complètement rétablie. Une étude menée au Cambodge a révélé que 11 % des survivants de l'encéphalite japonaise présentaient des séquelles suffisamment graves pour ne plus pouvoir vivre de manière autonome, tandis que 84 % présentaient des séquelles neurologiques "légères" ou "modérées". D’après une étude de modélisation réalisée en 2010, une cohorte de naissance chinoise théorique de 100 000 enfants (âgés de zéro à 15 ans) pourrait perdre 3 022 années de vie en bonne santé (en anglais, Disability-adjusted life years ou DALY) à cause de l'encéphalite japonaise.

Le développement des vaccins

La bonne nouvelle, c’est que l'infection par le virus de l’encéphalite japonaise confère une immunité naturelle qui semble durer toute la vie, et que l’on dispose de vaccins efficaces depuis le milieu des années 1950, date de l’homologation par le ministère japonais de la Santé et de la protection sociale d’une préparation mise au point à l'université d'Osaka, à base de VEJ cultivés sur cerveau de souris et inactivés au formol.

L'encéphalite japonaise est entrée dans le lexique médical en 1871, lorsque le premier cas clinique a été décrit au Japon. En 1924, l'agent infectieux était isolé, encore au Japon, à partir de tissu cérébral humain. Dix ans plus tard, la transfection de cet agent dans des cerveaux de singes a permis de prouver qu'il s'agissait bien du virus causal, le virus de l’encéphalite japonaise ou VEJ, ce qui ouvrait la voie au développement d’un vaccin.

À la fin des années 1950, le premier vaccin (dont l'efficacité se situait entre 91 et 97,5 %) a été largement diffusé au Japon et à Taïwan, entraînant une baisse spectaculaire de l'incidence de la maladie. Dans les années 1960, les vaccins contre le VEJ ont permis d’éliminer la maladie au Japon, en Corée et à Taïwan et de diviser par 10 son incidence annuelle en Chine.

Mais les vaccins inactivés nécessitent plusieurs doses, ce qui complique leur distribution dans les zones rurales souvent isolées où le risque d’infection par le VEJ est élevé. De plus, leur mode de production est très complexe. C’est pourquoi ce type de vaccin a été plus ou moins abandonné autour de 2011.

Une quinzaine de vaccins de nouvelle génération sont disponibles aujourd'hui. Le plus utilisé est le vaccin vivant atténué mis au point en Chine : le virus isolé à partir de larves de moustiques a été affaibli de façon à être inoffensif, par passages répétés sur cultures de cellules de hamster et de souris.

Plusieurs essais sur le terrain ont permis de déterminer que la protection conférée par deux doses de vaccin était supérieure à 95 %. Une étude menée en 2005 dans une région du Népal où le virus est endémique a montré que, même avec une seule dose, l’efficacité de ce vaccin (connu sous le nom de SA 14-14-2) atteignait 99,3 %, et qu’elle était encore de 96,2 % au bout de cinq ans.

Le SA 14-14-2 est le premier vaccin contre l'encéphalite japonaise à avoir été préqualifié par l'OMS (en 2013) pour une utilisation chez les enfants, ce qui a permis aux agences des Nations Unies de l’acheter. En 2020, il avait été administré à plus de 3,9 millions d'enfants dans le cadre des programmes de vaccination systématique soutenus par Gavi, et à plus de 16 millions d'enfants dans le cadre des campagnes de vaccination de rattrapage.

La vaccination protège contre l’encéphalite japonaise

Il n'existe pas de traitement antiviral contre l'encéphalite japonaise et, si les moustiquaires et les répulsifs peuvent contribuer à réduire le risque individuel, rien ne remplace la vaccination pour venir à bout du fléau que représente cette maladie.


« Lorsqu’on obtient durablement une forte couverture parmi des populations à risque pour cette maladie, il est possible de réduire de façon importante le nombre de cas humains d’EJ pendant que le virus reste en circulation », indique une note de synthèse de l'OMS qui recommande l'intégration de la vaccination contre le VEJ dans les « calendriers nationaux de vaccination dans toutes les zones où cette maladie est reconnue comme une priorité de santé publique ».

Dans l'Uttar Pradesh, la vaccination contre l'encéphalite japonaise a été lancée en 2006, année qui a suivi l'épidémie la plus meurtrière. Au cours des années suivantes, cet État a enregistré une certaine diminution des cas de syndrome d'encéphalite aiguë, toutes causes confondues, avec une réduction notable du taux de mortalité entre 2005 et 2010. Après un pic de SEA en 2017, qui a entraîné 654 décès (dont 93 dus de façon certaine à l'encéphalite japonaise), un regain d’intérêt pour la vaccination contre cette maladie a précédé « un déclin continu des cas confirmés et des décès dus à l'encéphalite japonaise et au syndrome d’encéphalite aiguë » au cours des années qui ont suivi.

En 2009, un article publié dans Emerging Infectious Diseases a mis en évidence deux tendances très divergentes : dans les pays d’endémie dépourvus de centres de diagnostic, de programmes de vaccination et de systèmes de surveillance spécifiques, l'incidence de l’encéphalite japonaise était en hausse. Dans les pays où la surveillance et la vaccination étaient bien établies, l'incidence de la maladie était "stable ou en baisse".

Le rôle des oiseaux migrateurs

Les auteurs de l'article notent que ces deux tendances ont pour toile de fond des conditions environnementales de plus en plus favorables aux virus : croissance démographique, intensification de la riziculture et de l'élevage de porcs, évolution des conditions climatiques. Le changement climatique pourrait, selon eux, participer à l’augmentation de l’incidence de la maladie, non seulement de façon directe en favorisant la prolifération et la longévité des moustiques, mais aussi en modifiant les pratiques agricoles telles que l'irrigation. Les inondations naturelles pourraient également favoriser la maladie, tout comme, sans doute, la modification des itinéraires migratoires des oiseaux aquatiques.

Au début du mois de mars 2022, les autorités sanitaires australiennes ont notifié à l'OMS trois cas humains confirmés d'encéphalite japonaise. Il s’agissait des premiers cas identifiés sur le continent australien depuis 1998. En juin, l'épidémie avait atteint le chiffre inouï de plus de 40 cas. Le virus de l’encéphalite japonaise a alors été détecté dans plus de 70 élevages de porcs dans les quatre États concernés par l'épidémie.

Le fait que les mois de février et mars de cette année-là aient été marqués par des inondations record le long de la côte nord-est de l'Australie ne semble pas être une coïncidence. « Selon certaines sources, il est possible que les oiseaux aquatiques aient migré en suivant les étendues d’eau, qui occupent maintenant une grande partie de notre région », a déclaré Dugald Saunders, ministre de l'Agriculture de la Nouvelle-Galles du Sud, lors d'une audition parlementaire.

Le constat d'ensemble est clair. « Avec l'accélération du changement climatique, nous allons nous retrouver dans une situation très difficile » a confié au Washington Post Tim Inglis (chef du département de pathologie et de médecine de laboratoire à l'université d'Australie Occidentale). « Nous commençons à nous en rendre compte avec l'extension de certaines de ces maladies qui, par le passé, se limitaient aux régions tropicales ».