Portrait vaccinal : le vaccin contre la fièvre typhoïde

La fièvre typhoïde sévit dans les pays où l'eau, l'assainissement, l'hygiène et la sécurité alimentaire sont défaillants. Sachant que la bactérie responsable de la maladie développe des résistances à presque tous les antibiotiques disponibles, il est plus urgent que jamais d’avoir recours largement au vaccin conjugué contre cette maladie.

  • 8 janvier 2024
  • 6 min de lecture
  • par Priya Joi
Illustration 3D de Salmonella typhi
Illustration 3D de Salmonella typhi
 

 

Dans le langage utilisé actuellement en matière de pandémie, Mary Mallon serait probablement qualifiée de "super-propagatrice" de la fièvre typhoïde. Au début du XXe siècle, cette cuisinière a en effet été responsable de plusieurs épidémies de fièvre typhoïde dans la ville de New York, au point d’avoir été surnommée "Mary Typhoïde". Elle est également à l'origine de la notion de porteur asymptomatique hautement contagieux.

La fièvre typhoïde est une maladie potentiellement mortelle, due à la bactérie Salmonella typhi qui infecte le tube digestif et la circulation sanguine. Elle se propage par l'eau ou les aliments contaminés par la bactérie présente dans les matières fécales. La maladie se caractérise par une forte fièvre accompagnée de diarrhée (parfois de constipation), des douleurs abdominales ou des maux de tête.

Dans de nombreux pays où la fièvre typhoïde constitue encore une menace pour la santé publique, la défaillance des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement peut se combiner à la survenue de pluies et d’inondations imprévisibles pour constituer les conditions idéales pour l’apparition d’épidémies de fièvre typhoïde. En riposte, des pays comme le Pakistan et le Zimbabwe ont eu recours à la vaccination.

Mary Mallon a infecté tellement de monde au sein des familles où elle travaillait qu'elle a été publiquement accusée d’être une "fabrique de fièvre typhoïde ambulante" et placée en isolement sur North Brother Island, île-prison située sur l'East River de New York, où elle est restée un quart de siècle, jusqu'à sa mort dans la solitude.

Si elle était née quelques dizaines d’années plus tard, sa vie aurait été très différente. Le premier vaccin contre S. typhi a été mis au point en 1896, mais il a été peu utilisé avant-guerre, alors que les maladies infectieuses avaient tendance à se propager moins rapidement. L’importance du vaccin est apparue avec la guerre, et son utilisation s’est généralisée à partir de 1911. Les antibiotiques sont devenus disponibles en 1948.

Propagation due au manque d'hygiène

Dans les aphorismes d'Hippocrate, la description de la diarrhée infectieuse et de la dysenterie est si précise que les historiens de la médecine estiment que la fièvre typhoïde existait déjà à cette époque.

Depuis lors, elle a fait des ravages dans les sociétés où l'hygiène des aliments et de l'eau laisse à désirer. En Amérique du Nord et en Europe, la transmission de la fièvre typhoïde est restée très élevée du début du XIXe siècle au début du XXe siècle.

Ensuite, la mise au point du vaccin et la découverte des antibiotiques, l'expansion des systèmes de distribution d’eau et d'assainissement, la généralisation des pratiques de santé publique, notamment le lavage des mains - que Mary Typhoïde négligeait - ainsi que l'amélioration de la sécurité alimentaire ont permis de réduire massivement la propagation des maladies d'origine hydrique et alimentaire comme la typhoïde ou le choléra.

Même si l'incidence de la fièvre typhoïde a diminué dans les pays où l'accès à l'eau, l'assainissement, l'hygiène et la sécurité alimentaire se sont améliorés, cette maladie reste un problème de santé publique majeur dans les pays et les communautés à faible revenu, où ces mesures sont insuffisantes. Une personne sur trois à travers le monde, principalement dans les pays à faible revenu, n'a toujours pas accès à des toilettes. Chaque année, neuf millions de personnes contractent encore la fièvre typhoïde et 161 000 en meurent.

Dans de nombreux pays où la fièvre typhoïde constitue encore une menace pour la santé publique, la défaillance des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement peut se combiner à la survenue de pluies et d’inondations imprévisibles pour constituer les conditions idéales pour l’apparition d’épidémies de fièvre typhoïde. En riposte, des pays comme le Pakistan et le Zimbabwe ont eu recours à la vaccination.

Comme Salmonella typhi n’est présente que chez les humains, n'a pas d'hôte animal, et ne peut pas survivre en dehors des humains, l'amélioration de l'eau, de l'assainissement, de l'hygiène et de la sécurité alimentaire peut avoir un effet spectaculaire sur l'arrêt de la transmission de la maladie.

Le développement du vaccin

Le premier vaccin contre la fièvre typhoïde a été mis au point en 1896 par les scientifiques britanniques et allemands Almroth Edward Wright, Richard Pfeiffer et Wilhelm Kolle. Il s'agissait d'un vaccin contre S. typhi à germes entiers, tués par la chaleur.

Deux vaccins sont utilisés depuis des années : un vaccin injectable contenant l'antigène purifié qui peut être utilisé à partir de l’âge de deux ans et un vaccin oral vivant atténué qui peut être administré sous forme de gélule à partir de l’âge de cinq ans. Mais aucun des deux ne peut être utilisé chez les enfants de moins de deux ans et l’immunité qu’ils confèrent est de courte durée. Le vaccin injectable nécessite un rappel au bout de deux ans, et le vaccin oral un rappel au bout de cinq ans. C'est pour cette raison qu’ils ont été peu utilisés.

Étant donné la difficulté croissante à traiter efficacement la fièvre typhoïde dans certaines régions, il est nécessaire de généraliser la vaccination dans les zones à haut risque, de façon à réduire l'incidence de la maladie et à ralentir la propagation des formes résistantes aux antibiotiques.

Puis, en 2017, l'OMS a préqualifié un nouveau vaccin contre la typhoïde conjugué à des protéines (VTC), qui non seulement offrait une immunité plus durable, mais pouvait être utilisé dès l'âge de six mois. Gavi a commencé à financer l’introduction du VTC dans les calendriers nationaux de vaccination systématique, en même temps que des campagnes de vaccination de rattrapage pour les enfants de moins de 15 ans, dans les pays où l’incidence de la fièvre typhoïde est élevée et où la typhoïde résistante aux antimicrobiens risque de se propager.


De plus en plus de pays introduisent le VTC, et la couverture augmente lentement dans ceux qui l'ont déjà introduit, même si certaines campagnes - comme la phase finale de celle qui a démarré il y a quelques mois au Baloutchistan (Pakistan) - ont été retardées par la pandémie de COVID-19. Le fait qu'elle ait eu lieu malgré les inondations extrêmes auxquelles le pays était confronté témoigne de la détermination du personnel de santé local, qui savait que le risque de fièvre typhoïde augmenterait à la suite des fortes pluies.

Résistance extrême aux antibiotiques

Le chloramphénicol, l'ampicilline et le cotrimoxazole sont les antibiotiques indiqués en première intention, même si les premières résistances sont apparues dans les années 1970 et se sont propagées. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la propagation mondiale des formes de fièvre typhoïde multirésistante (MDR), en particulier au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie.

En réponse à la progression des résistances, on a commencé, dans les années 1990, à utiliser une autre classe d'antibiotiques, les fluoroquinolones, mais leur utilisation généralisée a entraîné une augmentation de la résistance à cette classe de médicaments. On s’est alors tourné vers les céphalosporines et l'azithromycine comme antibiotiques de dernier recours.

Fait inquiétant, on a identifié en 2016 des souches de Salmonella typhi ultrarésistantes (XDR), capables de résister à cinq classes d'antibiotiques (chloramphénicol, ampicilline, cotrimoxazole, streptomycine, fluoroquinolones et céphalosporines de troisième génération). Seule l'azithromycine est encore efficace pour traiter les patients atteints des formes ultrarésistantes de fièvre typhoïde, mais la résistance à l'azithromycine est désormais apparue dans certaines zones géographiques. La situation est désastreuse : la complexité et le coût du traitement augmentent, ainsi que le nombre des hospitalisations, ce qui met les systèmes de santé à rude épreuve.

Étant donné la difficulté croissante à traiter efficacement la fièvre typhoïde dans certaines régions, il est nécessaire de généraliser la vaccination dans les zones à haut risque, de façon à réduire l'incidence de la maladie et à ralentir la propagation des formes résistantes aux antibiotiques. Le déploiement du vaccin conjugué devrait permettre d'éviter deux tiers des cas et des décès, et la proportion de cas de fièvre typhoïde résistante aux traitements pourrait diminuer de plus de 16 % en une dizaine d’années dans les pays soutenus par Gavi.