Bouba Magrama : de la stigmatisation à l'inspiration, le combat d’un survivant de la polio au Cameroun

À l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre la polio, VaccinesWork met en avant le parcours inspirant de Bouba Magrama, un survivant de la polio originaire du nord du Cameroun. Dans cette région, les défis liés à la vaccination sont encore présents. Son histoire de résilience met en lumière les obstacles rencontrés dans la lutte pour éradiquer la polio, dans un pays où les croyances culturelles et les traditions influencent encore les efforts de santé publique.

  • 24 octobre 2024
  • 8 min de lecture
  • par Nalova Akua
Bouba Magrama a distribué des kits scolaires aux élèves en situation de handicap et à ceux dont les parents sont en situation de handicap, lors de la rentrée scolaire 2024. Crédit : Bouba Magrama
Bouba Magrama a distribué des kits scolaires aux élèves en situation de handicap et à ceux dont les parents sont en situation de handicap, lors de la rentrée scolaire 2024. Crédit : Bouba Magrama
 

 

Bouba Magrama ne serait pas en vie aujourd'hui si sa mère avait suivi les conseils de certains membres de sa famille et de son district de Tokombéré, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun. Bouba, qui se déplace aujourd'hui sur un tricycle pour personnes handicapées, était en bonne santé jusqu'à l'âge de quatre ans, lorsqu'il a commencé à éprouver des difficultés à se déplacer après avoir contracté la poliomyélite. À sept ans, il est devenu complètement paralysé. Cela s’est accompagné d’une énorme stigmatisation et du rejet de la part de sa famille et de sa communauté majoritairement musulmane.

Bouba a été surnommé « fils de Satan » ou encore « enfant maudit ». Certains membres de la communauté ont conseillé à ses parents de le jeter dans un caniveau, au refuge ou dans la forêt, estimant qu'il incarnait de « mauvais esprits ».

« La communauté et mon entourage demandaient à mes parents, et surtout à ma mère, d'aller m'abandonner dans les grottes des montagnes, les rigoles ou sous les tamariniers », se souvient tristement Bouba, aujourd'hui âgé de 33 ans.

Bouba a été surnommé « fils de Satan » ou encore « enfant maudit ». Certains membres de la communauté ont conseillé à ses parents de le jeter dans un caniveau, au refuge ou dans la forêt, estimant qu'il incarnait de « mauvais esprits ».

Il était toujours caché dans un coin de la maison chaque fois que ses parents recevaient des visiteurs, de peur qu'il ne fasse « honte » à la famille.

À l’école, il n’était pas moins stigmatisé : les élèves l’évitaient, tout comme les enfants de sa communauté qui craignaient d'être contaminés par son handicap. « Parfois, lorsqu'il était question de nous envoyer à l'école, mon nom n'était même pas mentionné car, dans leur esprit, mon avenir était déjà condamné », raconte-t-il.

Fils de la troisième femme de son père et unique enfant de sa mère, Bouba était affectueusement appelé « enfant chéri » par son père, qui l'amenait dans tous les centres de réhabilitation et de rééducation, en fonction de ses moyens.

« Papa était seul contre tous car personne ne voulait qu'il continue à chercher une solution à ma motricité, déjà jugée comme une malédiction ou une manifestation d'une force obscure dans la famille par ma présence », explique-t-il.

Après le décès de son père et de sa grand-mère maternelle, Bouba retourne à Tokombéré. Sa mère, ayant tout vendu pour donner à son unique enfant la chance de retrouver la marche, l’emmène dans un centre de réhabilitation catholique privé, sans grands espoirs. « Trois mois plus tard, après avoir épuisé toutes nos ressources au point de rendre difficile l'accès à la nourriture, nous avons décidé de faire une pause », se souvient Bouba.

« Pendant que ma mère explorait d'autres solutions, je me suis retrouvé à la merci de la rue dans un village inconnu, confronté à une culture nouvelle, et les incertitudes de la vie commençaient à se dessiner... Plusieurs années plus tard, j’ai intégré le foyer de jeunesse de Tokombéré, d'abord comme danseur, puis acteur, et finalement chanteur-interprète. En tant qu’auteur-compositeur, j'ai découvert la seule compagnie que j'ai eue, que j'appelle la résilience. »

Ces différentes expériences professionnelles lui valent, deux ans plus tard, le surnom de Djaliam, qui signifie « se moquer de moi » en foulfouldé.

La polio touche principalement les enfants de moins de 5 ans

La polio est une maladie infectieuse aiguë grave, touchant principalement les enfants de moins de 5 ans, causée par le poliovirus, qui peut se propager d'une personne à l'autre, endommager le système nerveux central et les motoneurones, entraînant une paralysie flasque, une incapacité à bouger les membres, des difficultés respiratoires, et conduisant finalement à la paralysie, voire à la mort, chez les enfants non vaccinés.

Le virus se transmet de personne à personne principalement par voie fécale-orale ou, plus rarement, par un véhicule courant (par exemple, de l'eau ou des aliments contaminés) et se multiplie dans l'intestin, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les premiers symptômes incluent de la fièvre, de la fatigue, des maux de tête, des vomissements, une raideur de la nuque et des douleurs dans les membres.

Une infection sur 200 entraîne une paralysie irréversible (généralement au niveau des jambes). Parmi les personnes paralysées, 5 à 10 % meurent lorsque leurs muscles respiratoires sont immobilisés.

Le Cameroun a été certifié exempt de poliovirus sauvage en juin 2020, soit près de quatre ans après que l'ensemble de la région africaine ait enregistré son dernier cas de poliovirus sauvage.

Six mois plus tard, une nouvelle souche de poliovirus circulants dérivés d'une souche vaccinale est apparue. Ainsi, en 2023, 13 cas de poliovirus de type 2 ont émergé dans le pays : 12 dans la Région du Centre et un dans la Région de l’Extrême-Nord. Parmi ces 13 cas de poliovirus dérivés, 12 ont été identifiés comme provenant de pays voisins tels que le Nigeria, le Tchad et la République centrafricaine (RCA).

Pour répondre à cette nouvelle menace émergente, le Cameroun a récemment organisé des campagnes de vaccination synchronisées avec ses voisins, notamment le Nigeria, le Niger, le Tchad et la RCA, la dernière en date ayant eu lieu en mars de cette année.

Des agents de santé vaccinent des enfants dans les villes frontalières entre le Cameroun et le Nigeria lors de la campagne de vaccination synchronisée contre la polio, du 1er au 3 mars.
Crédit : Région Afrique de l'OMS

« Ces campagnes synchronisées ont été efficaces, car depuis le début de l’année 2024, aucun cas de poliovirus de type 2 (PVDVc2) n’a été détecté au Cameroun, et il en est de même au Tchad et en RCA », explique le Professeur Tetanye Ekoe, Président du comité national de certification de l'éradication de la polio à VaccinesWork. « On déplore néanmoins la détection de cinq cas au Nigeria dans trois États différents, ce qui contraste avec l’année 2023 où plus de 53 cas avaient été détectés », ajoute-t-il.

Le Professeur Ekoe se réjouit que la situation au Cameroun semble comparable à celle du Tchad et de la RCA, dans le sens d’un contrôle de cette épidémie de virus polio PVDVc2. « Pour répondre à cette épidémie, le Cameroun a non seulement intensifié les campagnes de vaccination, mais a également introduit un nouveau vaccin, le nOPV2, qui présente, par rapport à l'ancien vaccin OPV2, la particularité d'être plus stable sur le plan génétique et de générer chez les enfants une immunité plus puissante. »

Menace commune, riposte synchronisée

Le premier cycle de la campagne de vaccination contre le variant circulant de la poliomyélite de type 2 se déroule dans les pays du bassin du lac Tchad et du Sahel : Cameroun, Nigéria, République centrafricaine, Tchad et Niger, du 24 au 27 octobre 2024. L’annonce de la campagne a été faite par communiqué de presse le 10 octobre. Le ministre camerounais de la Santé publique, le Dr Manaouda Malachie, a déclaré que cette campagne de riposte vise à renforcer l'immunité des enfants de moins de cinq ans contre la polio et à stopper la circulation du poliovirus dans les pays concernés.

« La particularité de cette activité réside dans l'organisation synchronisée de la vaccination dans toutes les circonscriptions sanitaires des sept pays ciblés, avec un accent sur la couverture des populations autochtones, des nomades, des réfugiés et des personnes déplacées », a écrit le Dr Manaouda.

« Au cours de cette campagne, les enfants âgés de 0 à 5 ans recevront deux gouttes de vaccin contre la poliomyélite dans la bouche. De plus, les enfants de 0 à 59 mois ayant manqué un ou plusieurs rendez-vous de leur calendrier de vaccination de routine seront rattrapés. »

Le Professeur Ekoe, du comité national de certification de l'éradication de la polio, s'inquiète du fait que la détection de la souche du poliovirus de type 2 au Cameroun l'année dernière constitue une menace majeure pour le statut indemne de poliovirus sauvage du pays. La principale arme pour éviter cette situation, selon lui, est de renforcer l’immunité des enfants en incitant les parents à faire vacciner leurs enfants dans les centres de vaccination de routine et lors des campagnes de rattrapage.

« Si nous ne réussissons pas à augmenter le taux de couverture vaccinale des enfants dans toutes les régions de notre pays, je crains que le statut de pays indemne de la polio ne nous soit retiré, comme des médailles olympiques arrachées à des athlètes ! Puisse cette honte nous être évitée ! », prévient le Professeur Ekoe.

Aujourd'hui, Bouba est un homme heureux et une source d’inspiration pour de nombreux membres de sa communauté. En plus d'être artiste musicien, comédien et cordonnier, Bouba dirige l'ONG « Clin d'Oeil Djaliam », qu'il a fondée en 2009 pour apporter du réconfort aux personnes handicapées.

« J'aime rendre service, me rendre utile pour la communauté, à travers des activités humanitaires », explique Bouba. « Je le fais pour changer le regard de la société sur les personnes handicapées et rétablir leur intégrité et leur dignité. Je suis malheureux lorsqu'il y a de l'injustice. »

Il considère sa vie aujourd'hui comme un « cadeau précieux » et son existence même comme « un exemple de survie ».

Bouba voit la polio comme une maladie « réelle » mais « évitable ».

« On peut éviter que la polio ne fasse de nouvelles victimes, c'est déjà prouvé », dit-il. « Que les parents sachent que c'est maintenant ou jamais. »


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