Le Cameroun fait équipe avec ses voisins pour contenir la polio

La problématique des poliovirus variants est commune au Cameroun ainsi qu'au Nigeria, Niger, Tchad et République centrafricaine – d’où la nécessité de mettre en œuvre des actions conjointes pour barrer la route à ce fléau.

  • 12 mars 2024
  • 8 min de lecture
  • par Nalova Akua
Les agents de vaccination bravent tous les obstacles pour atteindre toutes les cibles de 0 à 5 ans au dernier jour (le 3 mars) de la campagne de vaccination contre la polio au Cameroun. Crédit : PEV Cameroun
Les agents de vaccination bravent tous les obstacles pour atteindre toutes les cibles de 0 à 5 ans au dernier jour (le 3 mars) de la campagne de vaccination contre la polio au Cameroun. Crédit : PEV Cameroun
 

 

Mispa Tata Limnyuy, une jeune femme de 29 ans, est ressortie du centre hospitalier baptiste Etoug-Ebe de Yaoundé, la capitale du Cameroun, le 2 mars, avec une joie bien plus grande que prévue. Sa visite matinale était initialement prévue pour la circoncision de l'un de ses jumeaux, Bless Nsoseka, âgé d'une semaine. Cependant, le hasard a voulu que ce soit également une journée de vaccination contre la polio. Avec une facilité déconcertante et au-delà de ses attentes, la jeune mère de trois enfants a joyeusement assisté à la première vaccination de son bébé et de sa sœur jumelle. En quittant l'établissement de santé, elle a exprimé sa satisfaction : « Je suis heureuse que mes enfants soient désormais protégés contre la polio. Cela fait vraiment du bien », a-t-elle déclaré.

Limnyuy n'était pas la seule dans cette situation. Une autre mère, Carine Kum, a saisi l'occasion d'une autre affaire qui l'a conduite à l'hôpital pour faire vacciner son bébé d'un mois, Moise, contre la polio. Connaissant les dangers du virus de la polio, la vaccination apparaît comme une solution miracle pour cette mère de deux enfants âgée de 37 ans. « Je pense que le vaccin est important car il aide à protéger l’enfant contre le virus de la polio. La polio peut paralyser un enfant à vie. Je ne veux pas que mon enfant en soit victime », a souligné Kum. « Je me sens bien de faire vacciner mon enfant. Mon premier enfant, âgé de 12 ans, a reçu tous les vaccins requis. Celui-ci fera de même. Mieux vaut prévenir que guérir », a-t-elle expliqué à VaccinesWork.

« Nous constatons que la problématique des poliovirus variants est partagée entre le Cameroun et ses voisins, soulignant ainsi la nécessité d'entreprendre des actions coordonnées pour contrer cette menace »

– Dr. Eric Mboke Ekoum, Chef de la Section Surveillance et Réponse aux Épidémies des maladies évitables par la vaccination au Programme Élargi de Vaccination (PEV)

Le Cameroun, en collaboration avec le Nigeria, le Niger, le Tchad et la République centrafricaine, a orchestré une vaste opération de vaccination contre la polio sur l'ensemble de leurs territoires du 1er au 3 mars 2024. Cet effort concerté s'inscrit dans le cadre d'un événement annuel dénommé « Journées nationales de vaccination contre la polio ». Durant cette période, des professionnels de la vaccination ont été déployés dans les foyers, les établissements de santé, les écoles, les marchés, les chefferies, les lieux de culte et autres espaces publics afin d'administrer deux gouttes du nouveau vaccin oral contre la polio (nVPO2) aux enfants âgés de 0 à 5 ans.

Des agents de santé vaccinent les enfants le long des villes frontalières entre le Cameroun et le Nigeria lors de la campagne de vaccination synchronisée contre la polio du 1er au 3 mars. 
Crédit : Région Afrique de l'OMS

Par ailleurs, les enfants de 0 à 23 mois qui avaient manqué l'un de leurs vaccins de routine ont également reçu une dose de rattrapage. Cette initiative d'envergure vise à renforcer la protection contre la polio au sein de la population infantile, couvrant divers secteurs de la société pour assurer une couverture maximale et prévenir la propagation de cette maladie potentiellement dévastatrice.

Menace commune, riposte synchronisée

La campagne vise à contenir la propagation des épidémies de poliovirus dérivé de souche vaccinale circulant type 2 (PVDV2c) qui ont émergé depuis juillet 2019 dans la ville de Kano, au Nigeria. En 2023, 13 cas de variants du poliovirus de type 2 ont été identifiés, répartis dans deux régions du Cameroun : le Centre (12 cas) et l'Extrême-Nord (1 cas). Parmi ces 13 cas au Cameroun, 12 sont considérés comme des émergences en provenance de pays voisins, notamment le Tchad, le Nigeria et la République centrafricaine, selon le Programme Élargi de Vaccination (PEV) au Cameroun.

Selon les données épidémiologiques de 2023 fournies par le PEV, le Tchad a notifié 52 cas de poliovirus variants de type 2, la République centrafricaine en a signalé 15, et le Nigeria en a enregistré 220. Depuis le début de l'année 2024, aucun cas de poliovirus variant de type 2 n'a été détecté au Tchad et en République centrafricaine. En revanche, au Nigeria, cinq cas de poliovirus variant de type 2 ont été notifiés dans trois districts de trois états différents. Le Cameroun n'a enregistré aucun cas de PVDVc2 depuis le début de cette année.

« Nous constatons que la problématique des poliovirus variants est partagée entre le Cameroun et ses voisins, soulignant ainsi la nécessité d'entreprendre des actions coordonnées pour contrer cette menace », explique le Dr. Eric Mboke Ekoum, Chef de la Section Surveillance et Réponse aux Épidémies des maladies évitables par la vaccination au Programme Élargi de Vaccination (PEV) à VaccinesWork. « C'est dans ce contexte que la synchronisation a été envisagée, permettant une action commune et concertée qui, sans aucun doute, éloignera le poliovirus variant de type 2 de la sous-région, où il circule depuis quelques années », ajoute-t-il.

Le Dr. Ekoum se félicite de ce que la synchronisation a permis de garantir que tous les enfants des pays concernés soient vaccinés simultanément, évitant ainsi de manquer les enfants nomades ou les personnes en déplacement autour des frontières dans la zone, assurant ainsi une couverture optimale. « Avec cela, nous sommes convaincus que le poliovirus variant de type deux pourra être circonscrit et que sa circulation sera interrompue dans le bloc Afrique centrale », ajoute-t-il. « Il est également crucial de noter que des taux de couverture vaccinale dépassant les 95% dans chaque pays, après les enquêtes post-campagnes, nous rassureront quant à l'interruption de la circulation du poliovirus variant dans la sous-région ».

Le Professeur Tetanye Ekoe, Président du comité national de certification de l'éradication de la polio, partage cet avis et ajoute que sur le plan de la santé publique, la détection du PVDV2c dans l'environnement représente « le même risque sanitaire » et déclenche la même série de réactions, notamment des campagnes de vaccination dans les zones où le virus circule. Il explique que ces virus PVDV2c sont en réalité des dérivés du virus atténué administré par le vaccin oral, et en raison de la faible immunité prévalant dans la communauté, ils ont profité de leur séjour prolongé dans le tube digestif des enfants faiblement immunisés pour subir une mutation génétique.

Le Professeur émérite de pédiatrie précise que cette mutation génétique confère à ces virus « le même caractère pathogène » que le virus polio sauvage, entraînant, par exemple, les mêmes paralysies flasques irréversibles. Il souligne ainsi qu'il s'agit d'une menace considérable aussi dangereuse pour les enfants que le virus de la polio sauvage qui s'est propagé d'Est en Ouest et vers le Sud du continent en passant par la République démocratique du Congo. Il conclut en mettant en avant l'importance de la surveillance épidémiologique, qui évalue l'efficacité du programme de vaccination en se basant sur les données collectées chez les humains et dans l'environnement.

Le PVDV2c menace le statut indemne de polio sauvage du Cameroun

Au Cameroun, les parents ont massivement afflué vers les établissements de santé du 1er au 3 mars pour faire vacciner leurs enfants. À l'hôpital baptiste d'Etoug-Ebe, par exemple, 341 enfants ont été vaccinés dès le premier jour de la campagne. Yengo Ruth, infirmière diplômée d'État et point focal pour la vaccination au centre de santé, a rapporté à VaccinesWork que le taux de participation a été jugé « bon » malgré quelques cas de refus enregistrés.

Une maman très déterminée vient de faire vacciner son enfant contre la polio.
Crédit : PEV Cameroun

Certains parents ont exprimé des réticences, arguant que leurs enfants avaient déjà été vaccinés lors des exercices de vaccination de routine. Cependant, Mme Ruth a souligné qu'il était crucial de faire comprendre aux parents que cette campagne visait à renforcer l'immunité des enfants. Elle a précisé : « Nous avons reçu 1 000 doses de vaccin contre la polio pour cette campagne de vaccination ».

L'objectif de la campagne de vaccination contre la polio au Cameroun était de cibler 6,7 millions d'enfants. Pour atteindre cet objectif, des journées de rattrapage ont été organisées dans les écoles et les localités moins couvertes par les vaccinateurs au cours de la campagne. De plus, la République centrafricaine a ciblé plus de 1,6 million d'enfants de moins de 5 ans dans le cadre de cette initiative.

Bien que le Cameroun ait obtenu le statut de pays ayant éradiqué le virus polio sauvage en juin 2020, le Professeur Ekoe du comité national de certification de l'éradication de la polio exprime des inquiétudes quant à la préservation de ce statut.

La campagne menée au Cameroun représente une étape logique, faisant suite à celle organisée en septembre de l'année dernière dans six des dix régions du pays, suite à l'émergence du poliovirus variant de type 2 en juin de la même année. Depuis la détection de ces souches de poliovirus variants présentes dans les pays voisins, les activités de surveillance contre la poliomyélite ont été intensifiées.

« Les actions de réponse comprennent notamment des activités visant à renforcer la surveillance, en mettant particulièrement l'accent sur les opérations de surveillance transfrontalières. Il y a également un renforcement de la vaccination de routine pour augmenter la couverture de la troisième dose du vaccin polio oral bivalent, ainsi que la couverture du vaccin polio inactivé. De plus, la mise en œuvre d'activités de vaccination supplémentaires, y compris la récente campagne de vaccination, est une mesure clé de réponse. Cette campagne est considérée comme l'action principale qui permettra de contenir les souches de poliovirus actuellement en circulation », confirme le Dr. Ekoum du PEV Cameroun.

Bien que le Cameroun ait obtenu le statut de pays ayant éradiqué le virus polio sauvage en juin 2020, le Professeur Ekoe du comité national de certification de l'éradication de la polio exprime des inquiétudes quant à la préservation de ce statut. Il souligne que ce statut de pays indemne de polio sauvage est actuellement « menacé » par l'épidémie des virus circulants PVDV2c. La lutte contre cette menace se déroule à travers l'utilisation du nouveau vaccin nOPV2, mis en œuvre lors de campagnes synchronisées organisées conjointement par les pays du bloc Niger, Nigeria, Cameroun, Tchad et Centrafrique.

« Pour contenir la propagation du virus polio circulant, la communauté scientifique compte sur la mobilisation des parents et des familles pour faire vacciner tous les enfants de moins de 5 ans », a-t-il expliqué. « C’est le défi qui est lancé dans tous les pays concernés, à toutes les forces vives de la société civile, des autorités religieuses, traditionnelles, afin d’inverser la tendance malheureuse qui a prévalu lors de la pandémie de COVID-19 avec la baisse de la fréquentation des centres de vaccination ».

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