Le Cameroun main dans la main avec ses voisins pour vaincre la polio
Alors que l’Afrique a été déclaré exempte de poliovirus sauvage en août 2020, le continent continue de vivre avec la menace du virus, qui cause des épidémies graves.
- 24 octobre 2022
- 6 min de lecture
- par Nalova Akua
La vaccination, meilleur moyen de lutte contre la poliomyélite
Charlotte vient d’emmener sa fille d'un mois et deux semaines se faire administrer sa toute première dose de vaccin antipoliomyélitique injectable. Après la piqure, la jeune maman l’a mise au sein pour la calmer, avec la certitude qu’elle venait d’offrir à sa fille quelque chose de précieux.
« Je sais que le vaccin contre la polio est très important pour le bébé – il le protège du virus. J’étais profondément affectée en regardant mon bébé pleurer pendant qu'elle recevait l'injection. C'est ma première expérience », a déclaré Charlotte, avant de quitter l'Hôpital Baptiste Etoug-Ebe de Yaoundé. Cette enseignante de 35 ans est préoccupée par la santé de sa fille. Dès lors, elle veille à ce qu’elle prenne « tous les vaccins nécessaires », afin de la protéger de toute épidémie éventuelle dans le pays.
Le Cameroun a été certifié indemne de poliovirus sauvage en 2020, après avoir passé une période de six ans sans enregistrer de nouveaux cas. À peine un an plus tard – en 2021 – une nouvelle souche de poliovirus dérivée des vaccins est réapparue.
« La vaccination est le meilleur moyen de prévention contre la polio. »
Pour limiter la propagation du virus, un premier tour de campagne de vaccination a été organisé au Cameroun en mai 2022, ciblant les enfants de 0 à 5 ans, suivi de près par la deuxième phase en juillet 2022. Celle-ci a ciblé environ six millions d'enfants, à qui les équipes de vaccination ont administré deux gouttes de vaccin antipoliomyélitique oral. A cela, s’ajoute la vitamine A pour les enfants de 6 mois à 5 ans, ainsi que les vermifuges dont ont bénéficié les enfants âgés de 1 à 5 ans.
Selon le Programme élargi de vaccination (PEV) du Cameroun, les cas récurrents de poliomyélite dans le pays sont dérivés des vaccins. Comme le virus est également présent dans plusieurs pays voisins dont le Tchad, la République centrafricaine et le Niger, la campagne a été synchronisée avec celles de ces pays.
« La vaccination est le meilleur moyen de prévention contre la polio », a expliqué le secrétaire permanent du PEV, Shalom Tchokfe Ndoula.
« Le vaccin utilisé durant cette campagne est le nouveau vaccin polio oral de type 2 (nOPV2). Ce dernier est le plus approprié pour répondre aux flambées de poliovirus circulants dérivés d'une souche vaccinale de type 2 (PVDVc2) ». Cet expert des questions de santé fait observer que les injections multiples de vaccins en une séance sont « sans risque ».
« La poliomyélite est une maladie virale très contagieuse. Elle est transmise par la consommation d’eau ou d’aliments souillés. Les enfants de moins de 5 ans sont les plus touchés. Cette maladie entraîne une paralysie irréversible des membres », développe le Dr Shalom.
Une menace toujours présente
La polio est une maladie virale qui existe sous trois types. Depuis 1988, le nombre de cas dans le monde a chuté de 99,9%, grâce à une contribution des pays et institutions membres de l’Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP), qui comprend l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Rotary International, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), la Fondation Bill & Melinda Gates et Gavi, l'Alliance du vaccin.
Pour aller plus loin
L’Afrique avait été déclarée exempte des trois types de virus polio sauvage en août 2020. « Néanmoins, malgré cette déclaration, l’Afrique continue de vivre avec la menace de voir émerger le virus, sous forme de poliovirus circulants dérivés d'une souche vaccinale, ou PVDVc », déclare Tetanye Ekoe, Professeur émérite de pédiatrie et Président du Comité national camerounais pour l'éradication de la poliomyélite.
« Bien que les PVDVc soient rares, ils sont devenus aujourd’hui la seule forme de poliovirus touchant la région africaine », dit-il.
« Les PVDVc proviennent du vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) qui a permis de parvenir à la quasi-éradication du poliovirus sauvage sur tous les continents de la planète ».
En outre, le professeur Tetanye Ekoe note qu’ « en dépit de ses nombreux avantages, notamment qu’il offre une meilleure immunité dans les intestins, le VPO a malheureusement montré sa capacité au cours du temps à pouvoir muter et prendre une virulence pouvant entraîner une paralysie des membres comme le poliovirus sauvage ».
La responsabilité des gouvernements africains est de conduire à un « véritable réarmement moral et politique » pour éliminer définitivement le poliovirus, quelle que soit sa forme, du continent.
Cette capacité de mutation est favorisée par « la baisse de l’immunité des enfants de moins de 5 ans dans les communautés ayant diminué les campagnes de vaccination contre le virus de la polio de type 2. D’où une menace de santé publique dans de nombreux pays africains dont le Cameroun », précise-t-il.
La campagne synchronisée organisée aux mois de mai et juillet a été initiée à la suite de la confirmation de cas de PVDVc2 dans une dizaine de pays africains, dont le Cameroun. Malgré l’existence de ces campagnes, le Programme élargi de vaccination affirme que la menace de la poliomyélite est toujours très présente. C’est la raison pour laquelle le Cameroun dispose d’un système de surveillance clinique et virologique de la polio.
« Le PEV couvre la quasi-entièreté du territoire national, sauf les zones en conflit du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi que les zones septentrionales où sévit Boko-Haram », confirme le professeur Tetanye Ekoe.
Nécessité d'un réarmement moral et politique ?
Hormis ces zones de conflit, le PEV fait du porte-à-porte dans les communautés à risque pour rechercher tous les cas de paralysie flasque aigue (PFA), dont sont victimes des enfants âgés de moins de 15 ans. De plus, le pays dispose, au Centre Pasteur du Cameroun, d’un excellent laboratoire de réputation internationale capable de recevoir toutes les selles suspectes d’enfants atteints de PFA et d’y détecter tous les types de poliovirus.
Le professeur Ekoe lie le retour de la poliomyélite en Afrique à deux facteurs principaux : « Le premier, c’est la baisse générale des activités de vaccination dans les communautés africaines. Le deuxième facteur est la pandémie de COVID-19 qui a vu nos populations victimes de campagnes complotistes, dénigrant le vaccin anti-COVID-19 et détournant les gens de la vaccination sous divers prétextes fallacieux ».
Par conséquent, pense-t-il, la responsabilité des gouvernements africains est de conduire à un « véritable réarmement moral et politique » pour éliminer définitivement le poliovirus, quelle que soit sa forme, du continent.
« En dépit des difficultés économiques générées par toutes les catastrophes actuelles, nos gouvernements devraient pouvoir ressusciter la confiance des populations désemparées, combattre les pensées et préjugés négatifs vis-à-vis de la vaccination et doper à tout prix la lutte contre le retour du poliovirus dans nos communautés ».
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