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Portrait vaccinal : le vaccin contre la poliomyélite

Le nombre de cas de poliomyélite a chuté de 99 % depuis la fin des années 1980, après une grande campagne d'éradication de la maladie, mais l’apparition de cas en grappes (ou clusters) à travers le monde indique que la maladie pourrait réapparaître si nous ne redoublons pas d'efforts pour l'éradiquer.

  • 24 octobre 2022
  • 7 min de lecture
  • par Priya Joi
Crédit photo : Poliovirus, illustration en 3D
Crédit photo : Poliovirus, illustration en 3D
 

 

La découverte, au cours de l'été 2022, d'un virus de la poliomyélite dans les égouts de Londres et dans une communauté non vaccinée de New York a surpris beaucoup de ceux qui avaient depuis longtemps oublié cette maladie. En effet, les vaccins étant tellement efficaces, on a pu se laisser bercer par un faux sentiment de sécurité.

La poliomyélite ne touche actuellement qu'une poignée de pays, mais la circulation du poliovirus représente une telle menace que l'Organisation mondiale de la Santé la classe toujours comme une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), alors que cette classification date de 2014.

La poliomyélite n’est plus endémique qu'en Afghanistan et au Pakistan, mais pendant une grande partie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, elle a fait des ravages dans le monde entier. L’introduction de la vaccination systématique dans les années 1970 a permis de réduire considérablement le nombre de cas, mais à la fin des années 1980, on recensait encore chaque jour plus de 1 000 cas de maladie paralytique chez les enfants.

En 1988, le lancement de l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP, dont fait partie Gavi) a galvanisé les efforts visant à éliminer la maladie, et rassemblé les gouvernements, les donateurs, les communautés locales et les agents de santé dans une démarche commune pour sensibiliser à la maladie et élargir l'accès à la vaccination contre cette maladie.

Le nombre de cas a commencé à chuter de façon spectaculaire (diminution de 99 %) et la plupart des pays ne recensent plus aucun cas. Selon les estimations, 20 millions d'enfants auraient ainsi échappé à la poliomyélite depuis le lancement l’IMEP. En 2020, le Nigéria était déclaré exempt de poliovirus sauvage, événement d’autant plus important que c’était le dernier pays d’Afrique où il était encore endémique.

Aussi remarquables que soient ces succès, les experts mettent en garde contre un relâchement dans la lutte pour son éradication tant que la planète n’en sera pas totalement débarrassée. Les maladies infectieuses qui ont presque disparu peuvent revenir avec une facilité alarmante à la faveur de changements au niveau mondial. C’est ainsi que les taux d’incidence de la rougeole ont commencé à augmenter ces dernières années, parallèlement à la baisse des taux de vaccination en Europe et aux États-Unis.

En perturbant les programmes de vaccination systématique, la pandémie de COVID-19 a aggravé les inégalités dans la couverture vaccinale contre la poliomyélite, qui a resurgi là où on ne l’attendait pas. En octobre 2021, l'Ukraine a été le théâtre d’une épidémie, puis un cas de maladie dû à un poliovirus sauvage est apparu en février 2022 au Malawi. En mars, c’est en Israël qu’a été détecté un cas de poliomyélite d’origine vaccinale. Et, au Pakistan, où la maladie est toujours bien ancrée, on a enregistré plus de cas de poliomyélite au cours du premier trimestre 2022 que pendant toute l'année 2021.

La poliomyélite ne touche actuellement qu'une poignée de pays, mais la circulation du poliovirus représente une telle menace que l'Organisation mondiale de la Santé la classe toujours comme une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), alors que cette classification date de 2014.

Une maladie très ancienne

La poliomyélite est l'une des plus anciennes maladies au monde. Des gravures égyptiennes datant du XIVe siècle représentent un prêtre dont une jambe est atrophiée, illustration caractéristique de cette maladie qui peut entraîner des paralysies des membres inférieurs, leur atrophie ainsi qu’une une faiblesse musculaire. C’est au médecin britannique Michael Underwood que l’on doit la première description clinique de la poliomyélite, en 1789. En 1840, le docteur Jacob Von Heine, médecin orthopédiste allemand, reconnaissait qu’il s’agit d’une maladie distincte des autres formes de paralysie et émettait l’hypothèse d’une origine infectieuse. Le virus responsable de la maladie a été identifié en 1909 par l'immunologiste autrichien Karl Landsteiner.

La poliomyélite est causée par un virus hautement infectieux qui se transmet par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par des matières fécales humaines. C'est pourquoi elle est fréquente dans les régions où l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est limité.

Le virus touche principalement les enfants. Environ 70 % des infections sont asymptomatiques ou provoquent des symptômes légers tels que maux de tête, la fièvre et raideur de la nuque, mais le virus peut aussi envahir le système nerveux et provoquer une paralysie et, dans les cas extrêmes, entraîner la mort suite à la paralysie des muscles respiratoires. Chez certains survivants, les lésions nerveuses peuvent être à l’origine du syndrome post-poliomyélitique, caractérisé par une fatigue, des douleurs et une faiblesse musculaire progressives et handicapantes.

Parmi les 3 souches de poliovirus sauvage (type 1, type 2 et type 3), le poliovirus de type 2 a été déclaré éradiqué en septembre 2015, le dernier cas ayant été détecté en Inde en 1999. Le type 3 a été déclaré éradiqué en octobre 2019, le dernier cas ayant été détecté en novembre 2012 au Nigéria. Le poliovirus sauvage de type 1 circule encore dans deux pays : le Pakistan et l’Afghanistan.

Le développement des vaccins

Il existe deux types de vaccins contre la poliomyélite : le vaccin inactivé (VPI, à base de poliovirus tué) mis au point par le Dr Jonas Salk et utilisé pour la première fois en 1955, et le vaccin oral vivant atténué (à base de virus affaibli), mis au point par le Dr Albert Sabin et utilisé pour la première fois en 1961.

Le VPI est fabriqué à partir de souches de poliovirus sauvage inactivées appartenant à chacun des trois types ; il s'agit d'un vaccin injectable et, dans de nombreux pays, il est administré en même temps que les vaccinations infantiles de routine, notamment contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche.

Le VPO consiste en un mélange de souches de poliovirus vivants atténués de chacun des trois sérotypes. Il est sûr et efficace, mais dans des conditions particulières (immunité insuffisante de la population, utilisation dans des zones où la contamination de l’eau est favorisée par l’absence de mesures d’assainissement), le virus vivant excrété par les sujets vaccinés peut se propager dans les communautés mal vaccinées et, exceptionnellement, subir des mutations entraînant un retour vers la virulence.

Plus l'immunité de la population est faible, plus le virus dérivé du vaccin peut se propager longtemps, et plus il risque de retrouver sa capacité à endommager le système nerveux et à entraîner des paralysies - on parle alors de poliovirus circulant dérivé du vaccin (PVDVc). Dans la grande majorité des cas (90 %) il s'agit de souches dérivées du poliovirus de type 2 (PVDVc2).

Le VPI est utilisé, à titre de précaution, dans tous les pays où la poliomyélite a été éliminée. Ne comportant que des de virus tués, il ne risque pas de se propager. Mais s’il permet de prévenir efficacement la maladie, il est moins efficace que le VPO pour stopper la transmission active du virus. Cette différence s’explique par leur mode d’action : le VPI induit une immunité systémique, qui empêche le virus d’atteindre le système nerveux, tandis que le VPO induit une immunité muqueuse dans l'intestin, principal site de réplication du poliovirus, empêchant ainsi l'excrétion du virus dans l'environnement et la transmission interhumaine. C’est très important dans les communautés où l'eau et l'assainissement sont insuffisants et le risque d’exposition à des agents pathogènes transmis par l'eau élevé.

Le VPI a été récemment introduit dans les programmes de vaccination systématique dans les pays soutenus par Gavi, mais le VPO reste nécessaire dans les pays où on cherche à bloquer rapidement la transmission.

La dernière ligne droite vers l'éradication

La pandémie a porté un coup dur au programme d'éradication de la poliomyélite, mais il redémarre avec de nouvelles armes : on dispose en effet d’un nouveau vaccin oral, le nVPO2, version génétiquement modifiée du vaccin antipoliomyélitique oral de type 2 existant qui, sur la base des données actuellement disponibles, offre une protection comparable contre le poliovirus de type 2 tout en étant plus stable génétiquement et moins susceptible de reprendre une forme qui pourrait causer des paralysies.

En novembre 2020, le nOPV2 a reçu une recommandation d'utilisation dans le cadre de la procédure d'inscription sur la liste des utilisations d'urgence de l'OMS, ce qui permet de le déployer rapidement. En juin 2022, environ 370 millions de doses de nVPO2 avaient été administrées dans 20 pays, notamment dans les pays suivants : Bénin, Cameroun, Congo, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Gambie, Guinée-Bissau, Libéria, Mauritanie, Mozambique, Niger, Nigéria, Ouganda, Sénégal, Sierra Leone et Tadjikistan.

La forte demande pour ce vaccin entraîne toutefois des difficultés d'approvisionnement que l'IMEP s'efforce d'atténuer. Dans les situations de co-circulation des souches de poliovirus, il est recommandé d’utiliser le vaccin oral trivalent (VPOt).

Il reste encore à surmonter des obstacles de taille pour éradiquer la poliomyélite dans les deux pays où elle persiste à l’état endémique. Au Pakistan, les communautés à haut risque sont souvent des populations nomades, difficiles à atteindre ; la couverture vaccinale en routine est faible dans certaines régions, et de nombreux parents refusent de faire vacciner leurs enfants, par lassitude ou en raison de désinformation.

On retrouve ces mêmes problèmes en Afghanistan, notamment l'hésitation face à la vaccination. De plus, les décennies d’insécurité et de conflits armés ont fragilisé les systèmes de santé, incapables d'assurer la vaccination systématique. En conséquence, de nombreuses communautés ne sont pas vaccinées ou le sont insuffisamment, ce qui expose les enfants au risque de poliomyélite.

Les programmes de vaccination contre la poliomyélite ont repris et les efforts d'éradication se sont intensifiés. Pour améliorer la couverture vaccinale, on a renforcé l'approvisionnement en vaccins, combattu la désinformation et mobilisé les communautés en faveur de la vaccination, en faisant notamment appel aux chefs communautaires et aux chefs religieux.

La dernière ligne droite vers l'éradication de la poliomyélite est en vue depuis des années, mais la pandémie a fait perdre du terrain. Le chemin qui mène à l'éradication est semé d'embûches, mais nous n’avons pas le choix. Pour l’instant, la maladie est endémique dans deux pays à faible revenu, mais rien ne dit qu’il en sera toujours ainsi. Elle peut resurgir n’importe où, sans crier gare. Il faut continuer à se battre pour un monde sans polio.