Au Kenya, la Vaccibox préserve la chaîne du froid pour protéger les enfants

Les centres de santé de campagne souffrent d’un mauvais réseau routier et des coupures de courant fréquentes, menaçant la viabilité de leurs provisions médicales. Une ingénieure a décidé de trouver une solution, sous la forme d’un réfrigérateur adapté.

  • 25 août 2023
  • 5 min de lecture
  • par Claudia Lacave
L'ingénieure kenyane Norah Magero et son invention: la Vaccibox.
L'ingénieure kenyane Norah Magero et son invention: la Vaccibox.
 

 

Norah Magero fait partie de ces citoyens qui mettent leurs compétences professionnelles à profit de leur communauté et trouvent des solutions concrètes aux problèmes du quotidien. Ingénieure de formation kényane, elle s’est attelée à créer un système d'entreposage frigorifique, portable et indépendant en énergie. « Nous réglons le problème du gaspillage des produits de santé lié au manque d’infrastructures en gardant les vaccins au froid le plus longtemps possible. » Sa Vaccibox permet de préserver en sécurité 40 litres de produits entre 2°C et 10°C avec un suivi à distance de la température, le tout alimenté par panneau solaire.

Au Kenya, la couverture vaccinale des antigènes de base atteignait l’année dernière 80% des enfants de 12 à 23 mois, en augmentation par rapport aux 57% de 2003, mais il reste encore aujourd’hui des comtés désertiques comme Garissa et Mandera qui n’arrivent qu’à 23% et 29%.

Disposé sur une palette dans le bureau et salle de consultation de l’établissement de santé de Ngatu, le frigo ronronne doucement. Ici dans la campagne Maasaï au sud du Kenya, le dispensaire gouvernemental couvre un bassin de population de 7800 personnes et reçoit environ quarante personnes par jour, malgré sa localisation reculée. Il subit depuis un an des problèmes d’électricité qui ont compliqué sa mission de vaccination. « J’entreposais les doses à l’hôpital de Maroro, à huit kilomètres d’ici, et je payais un taxi à moto pour les transporter tous les jours. Il les rapportait vers 14 heures, à cause de la température, donc certaines personnes pouvaient rater leur vaccination », détaille Sharon Saitoti, l’infirmière en charge, pendant qu’elle transfère des fioles de verre de la Vaccibox vers des glacières pour les consultations du jour.

Sharon Saitoti, l’infirmière en charge de Ngatu, transfère les vaccins de la Vaccibox vers des glacières.
Sharon Saitoti, l’infirmière en charge de Ngatu, transfère les vaccins de la Vaccibox vers des glacières.
Crédit : Claudia Lacave/Hans Lucas

Progression de la couverture vaccinale

L’équipement innovant est venu régler ce problème de réfrigération il y a cinq mois grâce à son panneau solaire, installé de manière durable sur le toit. L’entreprise qu’ont fondée Norah Magero et James Mulatya, Drop Access, atteint une cinquantaine de communautés au Kenya grâce à 23 Vaccibox. Certaines l’utilisent comme principal frigo de stockage, comme à Ngatu dans le comté de Kajiado, mais d’autres s’en servent comme unité mobile pour assister des populations très éloignées. Lucy, une couverture Maasaï à carreaux roses sur les épaules et des parures de perles traditionnelles autour du cou, est assise dans une des deux salles de la clinique pour faire vacciner Kakaye, son petit de six semaines. Elle a marché 30 kilomètres depuis le village d’Olgira, à environ trois heures. Elle a déjà pris du retard sur les doses obligatoires car elle est tombée malade, quelques semaines auparavant, et n’a pas pu accomplir le long trajet.

Lucy a marché environ 30 kilomètres pour venir faire vacciner son petit Kakaye à la clinique de Ngatu
Lucy a marché environ 30 kilomètres pour venir faire vacciner son petit Kakaye à la clinique de Ngatu.
Crédit : Claudia Lacave/Hans Lucas

L’absence ou le mauvais entretien des routes, le manque d’équipement des centres de santé et leur nombre réduit, et le déficit en infrastructures de la chaîne du froid engendrent d’importantes disparités dans le pays. « Les voitures ne peuvent pas toujours accéder, alors la Vaccibox peut être mise sur une moto qui se déplace plus facilement partout », appuie l’inventrice.

L’absence ou le mauvais entretien des routes, le manque d’équipement des centres de santé et leur nombre réduit, et le déficit en infrastructures de la chaîne du froid engendrent d’importantes disparités dans le pays. « Les voitures ne peuvent pas toujours accéder, alors la Vaccibox peut être mise sur une moto qui se déplace plus facilement partout », appuie l’inventrice.

Pour aller plus loin

Au Kenya, la couverture vaccinale des antigènes de base atteignait l’année dernière 80% des enfants de 12 à 23 mois, en augmentation par rapport aux 57% de 2003, mais il reste encore aujourd’hui des comtés désertiques comme Garissa et Mandera qui n’arrivent qu’à 23% et 29%. De plus, le ratio national des enfants de 12 à 23 mois ayant reçu tous les vaccins requis par le gouvernement est lui de 55%, et 2% de la tranche d’âge n’a reçu aucune injection. La docteure Lucy Mecca, ancienne cheffe du Programme national de vaccination et d'immunisation du ministère de la Santé, ajoute : « Un autre problème réside dans les coupures de courant qui peuvent devenir très fréquentes. Même si un centre est connecté au réseau d’électricité, il pourrait mieux profiter d’un réfrigérateur solaire. »

Le gouvernement en délivre certains dans son Plan d’expansion et de remplacement de l’équipement de la chaîne du froid. Au cours des cinq dernières années, les unités de réfrigération de la moitié des 8000 installations médicales du pays ont été renouvelées selon les standards internationaux. « Il y a toujours des cliniques qui utilisent des frigos domestiques, surtout dans le privé, car avec les équipements pré-qualifiés par l’OMS, le coût peut être assez élevé », explique la Dr. Mecca.

Une start-up en accélération

Après cinq ans d’existence, Drop Access travaille maintenant à obtenir la certification complète de l’OMS avec une version 3 de son produit, qui lui permettra d’étendre l’entreprise au Kenya et à l’étranger. Norah Magero a d’abord commencé par une solution du même type pour les fermiers de produits laitiers avant d’être confrontée, avec la naissance de sa fille, aux difficultés de vaccination rurales. L’initiative a remporté le Global Problem Solver Challenge 2022 de l’entreprise d’innovation technologique américaine Cisco, et le prix Afrique 2022 de la Royal Academy of Engineering Britannique, lui allouant un total de 283 000 dollars (260 000 euros).

L'ingénieure kenyane Norah Magero et son invention: la Vaccibox.
L'ingénieure kenyane Norah Magero et son invention: la Vaccibox.

Ces récompenses ont permis à l’entreprise d’augmenter la capacité de production de leur usine, basée dans la capitale Nairobi, à 100 Vaccibox par an, mais des défis techniques demeurent. « Nous n’avons toujours pas d’experts en génie frigorifique et en isolation alors nous externalisons ces tâches, mais c’est très coûteux et prend beaucoup de temps », déplore l’ingénieure. À terme, elle rêve d’établir un réseau de partage des produits de santé entre cliniques et de digitaliser les informations de vaccination pour permettre un meilleur suivi.


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