Malgré la pandémie, le Tchad améliore sa vaccination de routine

Les derniers chiffres montrent l'énorme impact que la pandémie a eu sur la vaccination de routine, mais le Tchad fait figure d’exception. Non seulement le programme de vaccination du pays du Sahel a résisté à la tempête, mais la couverture vaccinale a augmenté de 8 points depuis 2019. Comment expliquer cet exploit ?

  • 29 juillet 2022
  • 9 min de lecture
  • par Assa Samaké-Roman
Vaccination de routine – Gavi/2018/Tchad
Vaccination de routine – Gavi/2018/Tchad
 

 

La vaccination des enfants contre les maladies graves évitables a connu une baisse sans précédent depuis une trentaine d’années. C’est ce qui ressort des estimations officielles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’UNICEF concernant la couverture vaccinale nationale (WUENIC) publiés à la mi-juillet.

Cependant, dans ce tableau sombre, il y a une lueur d’espoir. En Afrique, elle nous vient du Tchad : contrairement à la plupart des pays du monde, la vaccination de routine a connu une amélioration dans ce pays du Sahel. Le pourcentage d’enfants ayant reçu trois doses de vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTC3) – un marqueur de la couverture vaccinale à l’intérieur des pays et entre ceux-ci – est passé au Tchad de 50% en 2019 à 58% en 2021.

« Ce que nous voyons également dans les pays fragiles et en conflits, ce sont des travailleurs de la santé débordés et surmenés. Je pense que l’injection de 235 travailleurs de santé au début de la pandémie a vraiment aidé à s'assurer que cette colonne vertébrale et cette main-d'œuvre est là pour la stratégie mobile et pour continuer à s'engager dans la vaccination de routine. »

« Le Tchad a eu de belles réussites pendant la pandémie : on a vu une amélioration de la vaccination de routine l’année précédente aussi. Cela a vraiment suscité notre intérêt, et cela nous a aidé à comprendre qu’on tenait le bon bout. L’approche différenciée que nous avons adoptée dès l’an 2000 commençait à porter ses fruits. Donc, quelque part, on s’y attendait », analyse Amy LaTrielle, directrice des pays fragiles et en situation de conflits à Gavi, l’Alliance du Vaccin. « Cependant, l’augmentation nette des chiffres est très inspirante, surtout quand on voit le recul de la vaccination de routine dans la région exacerbé par des problématiques telles que les conflits et les catastrophes naturelles comme les sécheresses et inondations, qui mènent aux migrations forcées, à la malnutrition... »

Disponibilité des vaccins

Qu’est-ce qui explique une telle réussite ? Les facteurs sont nombreux, selon Ferdinand Abassa, project manager à Gavi. Une des réponses a été d’investir dans les équipements de chaîne du froid.

« Un des gros problèmes du Tchad, c'était que la couverture en équipement de froid était extrêmement faible. Il s’agissait d’équipements vieillissants, qui tombaient en panne et qui n’étaient même plus adaptés dans la plupart des cas. On avait des équipements qui fonctionnait au pétrole, qui pouvaient provoquer des incendies. Cela eu un gros impact, le principal étant que cela a rendu les vaccins disponibles au niveau des centres de santé et des districts. Quand vous n'avez pas une bonne couverture en chaîne de froid ou une chaîne de froid qui fonctionne correctement, c'est que les vaccins ne sont pas disponibles, donc on ne peut pas vacciner. »

« Depuis 1997, 1.581 unités de stockage et de transport de vaccins solaires à chaîne du froid de haute qualité (dont 1.155 de Gavi en 2021) ont été installées, portant le taux d'équipement CCE dans les infrastructures de santé à 92% en 2022. Les sites d'installation ont été soigneusement choisis pour maximiser l'impact et faciliter l'accès à la vaccination. Dans de nombreuses zones, les vaccins devaient être transportés depuis d'autres postes de santé où des séances étaient organisées », a ajouté Thierry Vincent, Senior Country Manager chez Gavi.

De plus, les vaccins étaient fréquemment en rupture de stock : non seulement il a fallu investir pour que le Tchad puisse se les procurer, mais il a fallu améliorer toute la chaîne d’approvisionnement et de distribution. Pour y parvenir, Gavi et le gouvernement ont travaillé avec l’UNICEF et le cabinet de conseil Acasus.

L'objectif de ce cabinet est de renforcer les pratiques de gestion, l'utilisation des données et la prise de décision dans les gouvernements avec lesquels le cabinet travaille.

Florian Guiod, project manager à Acasus, explique quelle était la situation au début de sa mission, en début d’année 2020. « La situation était très mauvaise et en plus on avait assez peu d'informations : la dernière enquête de couverture vaccinale datait de 2017, et elle montrait que le Tchad avait une des couvertures vaccinales les plus faibles de la région, soit une couverture complète autour de 22%, un enfant sur 5. La mortalité infantile tournait autour de 100 pour 1000, donc 10%, ce qui est assez conséquent. On avait énormément de problèmes de disponibilité de vaccins, des ruptures quasi constantes, une incapacité du gouvernement à financer l’achat de vaccins. »

Mais là aussi, le Tchad a fait d’énormes efforts, malgré une situation économique difficile, selon Ferdinand Abassa. « Le Tchad a beaucoup investi dans l’achat de vaccins. Avant 2019, il y avait des gros problèmes de financements. Il y a eu un forum sur la vaccination sous le patronage du Président de la République en 2018, qui a aussi qui a été aussi un des moments forts qu'on peut considérer comme l'une des raisons pour lesquelles on a la performance qu'on a aujourd'hui. Un engagement que le président avait pris était d'allouer 3 milliards de francs CFA par année à l'achat de vaccins et au fonctionnement du programme de vaccination. C'est un engagement que le pays a tenu jusqu'ici. »

Selon Thierry Vincent, « le Tchad a rejoint l'Initiative pour l'indépendance vaccinale de l'UNICEF en 2017, ce qui a permis de maintenir l'approvisionnement en vaccins en 2021 malgré des retards de paiement dans l'année ».

Il a fallu réactiver les livraisons de vaccins, de les rendre récurrentes et fiables, et reconstruire la chaîne de distribution, selon Florian Guiod. « Ce qu'on a fait, c'est qu'on a équipé tous les logisticiens avec notre application, et donc à chaque fois qu'ils déposaient des vaccins, que ce soit dans un dépôt ou alors dans un district, ils collectaient de l'information sur la disponibilité avant la disponibilité après. Donc on peut s'assurer par exemple que les districts livrés ont tous reçu 10 semaines de stocks, ce qui permet de tenir deux mois plus deux semaines de sécurité jusqu'à la prochaine distribution. Et on a vu qu'en fait, les ruptures en conséquence dans les districts ont diminué de plus de moitié en l'espace de 2 à 3 distributions », explique-t-il.

Des personnels de santé supplémentaires et mobiles pour une meilleure offre de services

Un autre point majeur qu’il fallait solutionner était la question des ressources humaines : il fallait plus de personnes pour vacciner. « Nous avons permis le recrutement de 235 agents de santé (des infirmiers, des médecins, des sage-femmes, etc.) qu'on a affectés prioritairement dans des zones qu’on appelle des zones orphelines : ce sont des zones difficiles ou le personnel de l'État ne veut pas aller, ou reste peu avant de retourner à la capitale », explique Ferdinand Abassa.

Amy LaTrielle renchérit : « Ce que nous voyons également dans les pays fragiles et en conflits, ce sont des travailleurs de la santé débordés et surmenés. Je pense que l’injection de 235 travailleurs de santé au début de la pandémie a vraiment aidé à s'assurer que cette colonne vertébrale et cette main-d'œuvre est là pour la stratégie mobile et pour continuer à s'engager dans la vaccination de routine. »

« Une application pour smartphone visant à améliorer la prestation de services a été développée et utilisée pour donner un retour aux districts tout au long de 2021. Des réunions régulières de suivi ont été organisées au niveau des districts et des provinces. Avec l'appui de l'OMS, le personnel de santé a été formé dans 40 districts et les équipes de santé locales dans 28 districts, en particulier pour atteindre les enfants zéro-dose. Sans oublier la formation sur mesure pour les décideurs gouvernementaux suivie par une majorité de femmes et développée par Acasus », ajoute Thierry Vincent.

Le Tchad, comme un certain nombre de pays de la région, est un pays immense et peu dense. Difficile d’entreprendre des activités de vaccination intensives sans mettre à la disposition des personnels de santé des moyens de se déplacer, alors que les populations sont souvent très éloignées des centres de santé : d’où l’investissement important dans des dizaines de véhicules. « Les districts de santé ont reçu 32 véhicules et 250 motos. Cela a permis d'aller dans des zones difficiles d'accès, des zones éloignées. 32 districts ont reçu les véhicules et les motos, donc cela a permis d'atteindre plus de d'enfants qui étaient dans des zones éloignées, donc très souvent aussi qui étaient les enfants zéro-dose », selon Ferdinand Abassa.

Génération de la demande

L'augmentation de la demande de production parmi la population a nécessité une alliance d'organisations travaillant main dans la main avec le gouvernement.

Le ministère de la Santé, avec l'appui de l'UNICEF, a élaboré une stratégie urbaine de vaccination pour les grandes villes. Grâce au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, environ 5.000 chefs de village et volontaires de santé communautaire ont été formés dans la région du Lac et des plans de communication intégrés ont été élaborés dans 7 provinces. Des supports pour l'éducation des mères ont été produits pour les volontaires de santé communautaire.

Speak up Africa a proposé un plan d'engagement auprès des influenceurs, des maires des grandes villes et sur les réseaux sociaux. Des organisations de la société civile ont été approchées pour contribuer à l'agenda zéro-dose. Alors que ces efforts doivent être intensifiés et que davantage de ressources sont disponibles à cet égard, le Tchad a fait des pas dans la bonne direction, avec la prise en compte du genre, ce qui contribuera à améliorer la couverture grâce à l'amélioration de la prestation de services.

Volonté, innovation et synergie, grâce à une meilleure utilisation des ressources

Quelles leçons tirer d’une telle réussite ?

Pour Florian Guiod, il y a deux éléments cruciaux. « Le premier, c'est la mise en place d'un système de redevabilité, qui force les gouvernements (ou alors les gouvernements provinciaux dans les pays plus décentralisé comme la RDC) à s'engager pour la vaccination en décaissant des fonds, en assurant le suivi de la performance de manière régulière, en mettant en place des structures institutionnelles.

Le deuxième c'est la mise en place d'un système de suivi de la performance, donc être capable de factualiser, d’objectiver les données de la situation de la vaccination dans le pays. Cela permet de répondre rapidement lorsqu'on voit une baisse de la performance sur certains indicateurs. Cela permet aussi de créer une compétition saine entre les différentes entités, donc entre les différentes provinces par exemple : c'est ce qu'on voit au Tchad. C'est ce qu'on voit aussi en RDC. En fait, les provinces vont avoir une envie, parce qu'elles savent qu'elles sont regardées par le président de la République et par le ministre de la Santé, d'être première, et du coup vont faire les efforts dans ce sens. »

Il faut aussi une volonté politique de mettre une priorité sur la vaccination, et de travailler main dans la main avec de nombreux partenaires.

« Le Tchad est aussi un bon exemple de la synergie créée grâce à l'assistance technique de différents partenaires : OMS, UNICEF, Speak up Africa, Solina et Acasus, en synergie avec le financement combiné de la Fondation Bill et Melinda Gates », déclare Thierry Vincent. « Une collaboration et des réseaux de communication solides à l'appui des services du ministère de la Santé aux niveaux central et infranational ont libéré le potentiel caché et remotivé de nombreux superviseurs et agents de santé à fournir des services à la population et aux enfants ».

« Cela n'aurait pas été possible sans plus de ressources arrivant au niveau des services. Malgré les défis, Gavi - en collaboration avec le ministère de la Santé - a augmenté les flux de financement grâce à une unité de gestion de projet remaniée, en les accélérant, en adaptant les procédures et en utilisant autant que possible les systèmes de finance mobile, tout en maintenant un niveau de responsabilité solide. Aucun progrès n'aurait été possible sans une meilleure gestion financière. »

« Il y a eu une utilisation efficace et créative des financements. Nous avons également pu compter sur l’engagement des partenaires, de l’Alliance et au-delà, qui ont joué un rôle majeur pour soutenir le ministre ainsi que le ministère de la santé. Enfin, il y a eu un engagement direct au niveau des districts de santé, qui fait partie de la stratégie 5.0 de Gavi, qui veut que l’engagement se concentre davantage sur le niveau infranational », selon Amy LaTrielle.

« Ce qui est essentiel à cette réussite, c’est que tous les partenaires ont fait montre de courage et d’innovation. »