Portrait vaccinal : le vaccin contre le choléra

Le monde est en proie à une pandémie de choléra depuis 1961. Maintenant que la maladie est ancrée dans de nombreuses régions, il est plus important que jamais de garantir l'accès à la vaccination contre cette maladie.

  • 17 novembre 2022
  • 5 min de lecture
  • par Priya Joi
Illustration 3D des bactéries responsables du choléra flottant dans une eau polluée (en sombre)
Illustration 3D des bactéries responsables du choléra flottant dans une eau polluée (en sombre)
 

 

Alors que le monde entier se mobilise pour mettre fin à la pandémie de COVID-19, nous sommes en fait bel et bien confrontés depuis plus d'un demi-siècle à une pandémie de choléra - la septième de ces 200 dernières années. Lors de l'une des pandémies précédentes, en 1832, l’agence de santé de la ville de New York avait affiché les conseils suivants pour prévenir le choléra : « Manger et boire avec modération ; éviter les légumes crus et les fruits verts ! ».

Les campagnes de vaccination de masse peuvent être très efficaces pour lutter contre les épidémies, notamment celles qui surviennent en situation de crise humanitaire. Le Soudan du Sud a été déclaré exempt de choléra en décembre 2021 alors que la maladie s’y propageait de façon continue depuis des années. Ce renversement de situation est le fruit d’un travail de longue haleine, avec le déploiement de campagnes de vaccination réactives et préventives contre le choléra.

La maladie pouvait tuer en quelques heures. La recherche désespérée d’un remède explique probablement le recours à des produits chimiques dangereux, notamment au laudanum (morphine), au calomel, utilisé comme laxatif et au camphre utilisé comme anesthésique. Ces produits ont généralement fait plus de mal que de bien, mais pire encore, certains sont allés jusqu’à utiliser des suppositoires d'opium et des lavements à base de tabac.

Vibrio cholerae, la bactérie à l'origine de cette maladie gastro-intestinale aiguë caractérisée par des diarrhées aqueuses et des vomissements, n'a été découverte qu'en 1854, à Florence, au moment où New York traversait un pic épidémique. Originaire d'Asie du Sud, la maladie a commencé à se propager au début du XIXe siècle, apportée par les marins qui bourlinguaient de port en port.

Mais même si elle ignorait la cause du choléra, la population savait qu'il frappait surtout ceux qui vivaient dans des conditions insalubres, sans eau potable, dans les quartiers pauvres et surpeuplés. Tout comme pour la COVID-19, les riches pouvaient échapper à la pandémie et partir à la campagne pour éviter d'être infectés.

L'année même de la découverte de la bactérie à Florence, une épidémie de choléra éclate dans le quartier de Soho, à Londres. Au terme d’une véritable enquête policière, le médecin anglais John Snow découvre le mode de transmission de la maladie et le moyen d’arrêter l’hécatombe. Il fait modifier les systèmes d'approvisionnement en eau et de traitement des effluents, ce qui constitue une véritable révolution dans la gestion des maladies infectieuses.

Une grave menace pour la santé publique

Malgré la compréhension de la maladie et de son mode de propagation, le choléra a tué des millions de personnes au cours de ces nombreuses pandémies. La maladie peut s’avérer mortelle dans un cas sur deux, et entraîne encore de nos jours près de 143 000 décès chaque année.

La raison pour laquelle la maladie persiste, malgré l'existence d'un vaccin, est qu'elle se développe dans les zones où l'assainissement et l'hygiène sont insuffisants, et les épidémies éclatent dans les zones qui sont privées d’accès à l'eau potable et de services d’assainissement, notamment dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées. En 2010, Haïti a connu une épidémie majeure de choléra, avec plus de 600 000 cas et 8 000 décès officiellement déclarés, ce qui ne représentait probablement qu'une fraction de la charge réelle de morbidité causée par l'épidémie.

Le développement du vaccin

Le premier vaccin contre le choléra a été mis au point en 1877 par Louis Pasteur pour lutter contre le choléra des poules. En 1884, le médecin espagnol Jaume Ferran i Clua prépare un vaccin vivant à partir d’une souche bactérienne isolée chez des patients marseillais atteints de choléra ; ce vaccin a été injecté à plus de 30 000 personnes pendant l'épidémie qui sévissait dans la province de Valence cette année-là.

En 1893, Savtchenko et Zabolotny rapportent les résultats de l’essai d’un premier vaccin oral contre le choléra. Dans les années 1920-1930, des essais sont réalisés sur le terrain en Inde avec un vaccin contenant 70 milliards de bactéries V. cholerae séchées sous forme de comprimé, commercialisé sous le nom de bilivaccin. Jusque dans les années 1980, on pensait toutefois que la voie parentérale était supérieure à la voie orale et plus pratique. Mais la recherche s’est tournée à nouveau vers les vaccins oraux quand on a mieux compris l'immunité intestinale et le choléra.

Des vaccins anticholériques oraux (VCO) ont été préqualifiés pour la première fois par l'OMS dans les années 1990. À ce jour, l’OMS en a préqualifié trois, qui nécessitent deux doses pour une protection complète. Leur efficacité en vie réelle a tendance à être supérieure à celle observée dans les essais contrôlés, ce qui s’explique par le phénomène d’immunité collective. Des études menées dans des zones fortement endémiques comme l'Inde, le Bangladesh ou Haïti ont montré une protection d'environ 60 % chez les adultes pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Gavi a commencé à financer le stock mondial de vaccins contre le choléra en 2014. Depuis son lancement, des millions de doses ont permis de lutter contre les épidémies et de réduire la transmission endémique dans le monde entier. Alors que seulement 1,5 million de doses de vaccin oral contre le choléra avaient été utilisées au niveau mondial entre 1997 et 2012, 29 millions de doses ont été administrées à travers le monde sur la seule année 2021, soit en riposte à une urgence sanitaire soit à titre préventif, et ceci, grâce au stock mondial.

Les spécialistes du choléra réclament depuis longtemps des vaccins plus efficaces, capables d’induire une protection plus durable chez les enfants. Ils pourraient être exaucés alors que des vaccins conjugués prometteurs sont en cours d'évaluation clinique. Des vaccins de nouvelle génération pourraient également voir le jour, avec la mise au point, au début de l’année 2022, d’un nouveau type de vaccin composé de polysaccharides présentés sur des pseudo-particules virales. Ce vaccin n'a pas encore été testé chez les humains, mais il pourrait, selon les chercheurs, induire une immunité plus durable.

Une menace persistante

Les campagnes de vaccination de masse peuvent être très efficaces pour lutter contre les épidémies, notamment celles qui surviennent en situation de crise humanitaire. Le Soudan du Sud a été déclaré exempt de choléra en décembre 2021 alors que la maladie s’y propageait de façon continue depuis des années. Ce renversement de situation est le fruit d’un travail de longue haleine, avec le déploiement de campagnes de vaccination réactives et préventives contre le choléra.

Mais, avec des maladies comme le choléra, les gains durement acquis peuvent être facilement anéantis.

Le Groupe spécial mondial de lutte contre le choléra (ou GTFCC, pour Global Task Force on Cholera Control) qui rassemble plus de 30 organisations dont l'Organisation mondiale de la Santé, dispose d'une feuille de route dont l’objectif est de mettre fin aux épidémies dévastatrices et à réduire le nombre de décès dus au choléra à l’horizon 2030.

Comme pour toutes les maladies infectieuses, la prévention, la détection précoce et la riposte constituent les meilleurs moyens de réduire la menace que représentent les épidémies pour la santé publique. Pour cela, le GTFCC fait appel à la mobilisation des communautés, à l'amélioration de la surveillance et à l'alerte précoce, à l'augmentation des capacités des laboratoires et au renforcement des systèmes de santé.

En matière de prévention, il préconise d’élargir l’accès aux vaccins contre le choléra, mais cela doit aller de pair avec la mise en place de mesures WASH (eau, assainissement et hygiène/ water, sanitation and hygiene) et le renforcement des systèmes de santé. En effet, seules les approches multisectorielles permettront de contrôler les zones connues pour être des foyers de choléra.