Un Tournant Historique : Le Cameroun commence la vaccination de routine contre le paludisme

Le 22 janvier 2024, le Cameroun marquera l'histoire en lançant la vaccination systématique contre le paludisme dans 42 districts, avec le vaccin antipaludique RTS,S. S'attaquant à l'une des maladies les plus meurtrières en Afrique, qui emporte la vie de près d'un demi-million d'enfants de moins de 5 ans chaque année, le vaccin représente une étape cruciale dans l'atténuation de l'immense impact sociétal du paludisme.

  • 22 janvier 2024
  • 8 min de lecture
  • par Nalova Akua
Rosine Djanfan, agent d'entretien, avec son enfant à Yaoundé. Crédit : Gavi/2024/Go'tham Industry
Rosine Djanfan, agent d'entretien, avec son enfant à Yaoundé. Crédit : Gavi/2024/Go'tham Industry
 

 

Le fardeau économique du paludisme

Le mois d’octobre a été une période difficile pour la famille Zamgue, résidant à Yaoundé, la capitale du Cameroun : les sept membres de la famille – enfants et adultes – ont attrapé le paludisme. Au-delà des symptômes révélateurs et des douleurs souvent associées à cette maladie potentiellement mortelle, c’était le fardeau financier qui a pesé sur la famille en difficulté. « Certains ont pris les injections ; d’autres ont pris des perfusions ; tandis que mon bébé de 15 mois a pris le sirop. Une perfusion coûte FCFA 5,000 [USD 8.22] et chacun en a pris trois. J’ai beaucoup dépensé pour l’hospitalisation », se souvient tristement Flore Zamgue, femme au foyer de 35 ans, et mère de cinq enfants.

Le paludisme demeure la principale cause de consultations et d'hospitalisations au Cameroun, qui fait partie des onze pays qui supportent 70% du fardeau du paludisme dans le monde, touchant particulièrement les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes.

Alors, lorsque le 21 novembre 2023, le Cameroun a reçu 331 200 doses du RTS,S, le vaccin antipaludique recommandé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la famille a applaudi la nouvelle. « Je trouve que c’est très bien d’introduire le vaccin au Cameroun, car ça va permettre de barrer la route au paludisme », se réjouit la jeune mère, dont la famille se remet encore du paludisme malgré l’utilisation de moustiquaires imprégnées. « Comme c’est gratuit, ça sera une bonne nouvelle pour tous, surtout les mamans ».

Près de 14 000 décès dus au paludisme chaque année

Le paludisme fait des ravages au Cameroun, avec environ 6 000 décès signalés chaque année, représentant entre 14% et 17% des décès enregistrés dans les établissements de santé, selon le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP). Toutefois, l’OMS estime que le véritable bilan se situe autour de 11 000 décès, en tenant compte de ceux qui surviennent en dehors des structures de santé.

Le paludisme fait des ravages au Cameroun, faisant environ 13 839 morts rien qu’en 2021, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé.

Joël Odjo, boulanger à Binguela : "Pour moi, c'est une joie car [avec l'introduction du vaccin contre le paludisme], nos petits frères, nos fils, nos mères et nos enfants ne souffriront plus du paludisme."
Crédit : Gavi/2024/Go'tham Industry

Cette maladie demeure la principale cause de consultations et d'hospitalisations au Cameroun, qui fait partie des onze pays qui supportent 70% du fardeau du paludisme dans le monde, touchant particulièrement les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. Le PNLP rapporte une incidence hospitalière de 113 cas pour 1 000 habitants. L'OMS estime le nombre annuel de cas à 6,7 millions, dont près de 30 % des visites ambulatoires sont liées au paludisme.

La Dre Bouetou Tantoh Theresia, médecin-chef à l'hôpital baptiste Etoug-Ebe de Yaoundé, témoigne de l'impact significatif du paludisme sur son établissement, recevant mensuellement 12 000 patients, dont au moins un tiers sont atteints de cette maladie. « Au pic des contaminations, on manque d’espace pour accueillir tout le monde, et nous souffrons de pénuries de médicaments pour traiter les cas graves. Mais nous faisons de notre mieux », soupire-t-elle.

La médecin place ses espoirs dans l'introduction du vaccin RTS,S, qui cible le parasite Plasmodium falciparum, responsable du type de paludisme le plus dangereux, pour soulager la pression que subissent les services hospitaliers camerounais. « Prévenir le paludisme dès le plus jeune âge est particulièrement bénéfique. Le nombre de cas graves sera considérablement réduit, notamment chez les enfants », espère-t-elle.

42 districts bénéficieront du premier déploiement

Le premier déploiement du vaccin RTS,S couvrira 42 districts de santé dans les dix régions du Cameroun, représentant environ 20% des districts de santé au total. La population cible pour cette phase est estimée à 249 133 enfants âgés de 0 à 24 mois. Les Régions du Nord et de l’Extrême-Nord, caractérisées par une transmission saisonnière, nécessitent une stratégie de vaccination adaptée à la saisonnalité.

Le vaccin est administré en quatre doses : la première lorsque l’enfant est âgé de 6 mois, les deux suivantes dans un intervalle d'un mois, et la quatrième plus d'un an après. Il s’agit d’un vaccin injectable administré dans la cuisse, avec une administration classique similaire aux autres vaccins du programme de vaccination existant depuis près de 50 ans.

Des essais approfondis ont confirmé l'innocuité et l'efficacité du vaccin, offrant une protection d'environ 36% après l'administration des quatre doses. Bien que ce chiffre soit comparativement inférieur à celui de nombreux vaccins classiques ciblant les infections virales et bactériennes, le vaccin RTS,S représente une avancée révolutionnaire dans la lutte contre le parasite le plus mortel au monde. Il constitue un ajout décisif à l'arsenal mondial d'outils de gestion du paludisme, marquant ainsi un tournant majeur dans la lutte contre cette maladie dévastatrice.

Le vaccin RTS,S vient compléter les 14 antigènes déjà présents dans le programme de vaccination au Cameroun. « Il ne s'agit pas de mener une campagne spécifique, mais d'ajouter le vaccin antipaludique aux vaccins de routine et de l'administrer selon le calendrier habituel, en tenant compte de la spécificité du calendrier pour le vaccin contre le paludisme, dont la première dose est donnée à partir du sixième mois » souligne le Dr Shalom Tchokfe Ndoula, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV) au Cameroun.

Dr Shalom Tchokfe Ndoula, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV) au Cameroun.
Crédit : PEV Cameroun

Selon le Dr. Ndoula, une couverture optimale pourrait potentiellement réduire de plus d'un tiers le nombre de décès annuels dans la communauté et conduire à une diminution de plus de 60% des hospitalisations pour les cas graves du paludisme dans les zones couvertes. Il souligne que plus d'un an de préparation logistique, de renforcement des capacités et de coordination avec les autorités gouvernementales a été nécessaire pour assurer un déploiement optimal du vaccin.

Enfin, il insiste sur l'importance de mettre à jour les connaissances des agents de santé, de dialoguer avec la communauté pour répondre à leurs préoccupations, et communiquer sur les avantages du nouveau vaccin pour prévenir le paludisme.

Lever l’obstacle de la désinformation

Alors que le Cameroun se prépare à débuter l'administration du vaccin RTS,S dans les 42 premiers districts désignés, de nombreux Camerounais expriment un scepticisme voire une hostilité à l’encontre de ce vaccin, nourrissant des doutes quant à sa sécurité et à son efficacité. En réponse à ces préoccupations, le ministre camerounais de la Santé publique, le Dr Manaouda Malachie, a joué la carte de la réassurance dans un communiqué fin novembre 2023, affirmant que le processus d'introduction de ce vaccin, validé par l'OMS, a respecté « toutes les étapes essentielles requises ». Cela inclut l'approbation du Groupe technique consultatif national de la vaccination en mai 2022 et du comité de coordination inter-agences en juin 2022.

Le professeur Tih Pius Muffih, directeur de Cameroon Baptist Convention Health Services, qui a collaboré avec de nombreux établissements de santé et prestataires de soins au Cameroun, espère que l'introduction du vaccin contribuera non seulement à « surmonter l'impact du paludisme » dans le pays, mais également à réduire les dépenses liées à la prévention ou au traitement de cette maladie. Il exprime son anticipation en déclarant : « Je m'attends à ce qu'une fois le vaccin introduit au Cameroun, il réduise considérablement les cas de paludisme chez les enfants et, bien sûr, diminue le taux de mortalité infantile ». Le professeur Muffih recommande vivement aux parents d'adopter le vaccin sans crainte, soulignant les résultats des essais cliniques réalisés au Malawi, au Kenya et au Ghana, qui démontrent la sûreté et l'efficacité du vaccin.

Cependant, face aux rumeurs qui circulent abondamment, notamment sur les réseaux sociaux, il est impératif de faire davantage sur le terrain pour lutter contre la désinformation et renforcer les efforts de communication au niveau local. C'est ici que la mobilisation communautaire, impliquant les leaders locaux, les professionnels de la santé et d'autres acteurs clés, entre en jeu : elle pourrait jouer un rôle crucial dans la sensibilisation et l'éducation de la population. Cette approche permettrait de surmonter les barrières culturelles et linguistiques, d'adresser les inquiétudes spécifiques de chaque communauté, et d'instaurer un climat de confiance propice à l'acceptation du vaccin.

Le Dr Adalbert Tchetchia, sociologue de la santé et responsable de l'unité Mobilisation Sociale au ministère de la Santé, veille au grain. Il explique : « Les professionnels de santé de première ligne et les acteurs communautaires sont actuellement formés pour mener des campagnes de sensibilisation en porte à porte. En parallèle, des séances éducatives ont lieu dans les établissements de santé, des dialogues communautaires sont organisés dans toutes les zones de santé. Les associations partenaires, avec lesquelles nous collaborons régulièrement, se préparent également à intensifier leurs actions dans les villages et quartiers pour renforcer la sensibilisation des communautés. » De plus, les équipes du centre d’appel 1510 sont sur le qui-vive pour répondre aux questions des parents.

Le Dr Tchetchia souligne que les préoccupations récurrentes de la population portent sur la crainte d'abandonner d'autres moyens de prévention contre le paludisme, la suspicion d'une expérimentation dont elles seraient les cobayes, ainsi que des doutes quant à la qualité et à l'efficacité du vaccin. Selon lui, l'objectif principal de la sensibilisation est de rassurer les populations en soulignant que la vaccination vient en complément des autres méthodes de prévention, sans les remplacer. Il insiste sur le fait que la mise au point du vaccin remonte à plus de trente ans et que les phases pilote, y compris la phase pilote entre 2019 et 2022 au Ghana, au Kenya et au Malawi, ont été réalisées.

« La décision d'introduire le vaccin au Cameroun, tout comme dans de nombreux autres pays africains, découle de ces garanties, notamment l'approbation du vaccin par l'OMS et les autorités publiques. En ce qui concerne la sûreté, la qualité et l'efficacité du vaccin, les études cliniques et les quatre années de phase pilote montrent qu'il peut être utilisé en toute confiance pour la santé humaine », ajoute-t-il.

Les résultats des évaluations de l'introduction du vaccin antipaludique RTS,S en phase pilote sont encourageants. Ils révèlent une réduction de 13 % de la mortalité toutes causes confondues chez les enfants éligibles à la vaccination. En outre, le vaccin a permis de réduire de 22 % le nombre d'hospitalisations pour les formes graves de paludisme chez ces enfants, entraînant non seulement une diminution significative de la souffrance des familles, mais aussi des économies substantielles pour le système de soins de santé.


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