ALORS QUE LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL DU NIGÉRIA S’EFFORCE DE REMÉDIER AUX INIQUITÉS RÉGIONALES EN MATIÈRE D’ACCÈS À LA VACCINATION, DES HABITANTS CONTRIBUENT À METTRE EN PLACE UN SYSTÈME PLUS SOLIDE.

Au-delà d’être un fervent musulman, Yusuf Ibrahim est aussi un converti : non pas dans sa foi religieuse, mais dans ses croyances sur la vaccination.

Assis, la mâchoire serrée, ses larges épaules rejetées en arrière et les mains posées fermement sur les jambes, il s’exprime avec passion, évoquant le temps où il buvait les mots de ceux qu’il jugeait plus érudits que lui, les considérants comme paroles d’évangile. « Les aînés nous disaient que la vaccination avait pour objectif de réguler la population. Tous les croyaient – eux-mêmes le croyait – alors pourquoi aurais-je pensé autrement ? »

Une conspiration occidentale

Les rumeurs selon lesquelles les vaccins font partie d’une conspiration occidentale visant à « réguler la population musulmane » sont légion au Nigéria, bien qu’on ignore leur origine exacte. C’est ce qu’on avait dit à Yusuf, qui a grandi dans un tout petit village rural à une heure de Minna, capitale de l’État de Niger.

« À un moment – j’ai oublié quand – on m’a dit que les vaccins rendaient les hommes impuissants, ce qui nous semblait logique. Les aînés nous disaient : « Pour quelle autre raison, ces inconnus t’offriraient quelque chose ? Ils veulent contrôler les naissances. » Je le croyais alors. »

Une quasi-tragédie

Il aura fallu une quasi-tragédie pour le faire changer d’avis. Jamais Yusuf n’oubliera la vision de sa fille aînée, Saratu, alors âgée de deux ans et gravement malade. Elle toussait, respirait à grand-peine. Puis elle a ressenti de la fatigue et s’est mise à boîter.

Sa femme l’a supplié des jours durant de la laisser l’emmener chez le médecin puis, en désespoir de cause, à l’hôpital. À mesure que la vie semblait se retirer de son corps, sa situation faisait craindre les événements déchirants qui survenaient régulièrement dans la petite communauté rurale où avait grandi Yusuf et où de jeunes enfants étaient arrachés à leur famille.

Pneumonie à pneumocoques

Sa fille bien-aimée souffrait d’une pneumonie, une maladie infectieuse qui, au niveau mondial, a coûté la vie à 1,3 million d’enfants de moins de cinq ans en 2011, dont 129 000 au Nigéria.

« En regardant ma petite fille, je savais ce qui allait arriver », souligne Yusuf. « Jeune homme, j’ai vu mourir beaucoup d’enfants. Je savais à quoi ils ressemblaient, et ma petite fille avait maintenant le même air. »

Les aînés de son village lui ont dit d’éviter aussi bien les hôpitaux que la médecine occidentale. Paniqué à l’idée de perdre son premier enfant, celui-ci a accepté de la faire admettre dans un hôpital.

« J’ignore ce qu’ils ont fait, mais ma petite fille s’est remise à vivre », affirme Yusuf.

Préserver la vie

Il a commencé à parler de ses croyances avec les médecins, qui l’ont peu à peu convaincu que leur rôle était de protéger la vie et que sa fille n’aurait pas subi cette rude épreuve si elle avait reçu le vaccin approprié.

Dix ans se sont écoulés depuis que son premier enfant a affronté la mort, et Yusuf, maintenant âgé de 32 ans, est devenu un champion des vaccins dans sa communauté : Unguwar Daji, bidonville sans approvisionnement régulier en électricité ni services d’assainissement, à la frontière nord de Minna. Il se fraie un chemin à travers le labyrinthe des rues et des ruelles, frappant aux portes des maisons semi-permanentes, aux toits de tôle rouillée, pour expliquer aux familles combien la vaccination est importante.

Un des leurs

« Si une femme vient d’avoir un enfant, je vais voir le mari et lui explique pourquoi il faut le faire vacciner. Ils me croient parce que je suis un des leurs. Nous exerçons les mêmes métiers, nous venons des mêmes villages ; de plus, ils voient que tous mes enfants ont été vaccinés », explique-t-il.

Unguwar Daji est entièrement peuplé de familles comme celle des Ibrahims, des gens pauvres qui, à la recherche d’un emploi, quittent leurs petits villages pour la ville en vue d’améliorer leur quotidien – et celui de leurs enfants. La plupart sont encore nourris de vieux préjugés sur la vaccination.

Une campagne stratégique

Il faudra du temps mais aussi une campagne stratégique pour les sensibiliser – par tout moyen allant des discussions avec les aînés aux stars de la pop à qui l’on demande d’écrire des chansons sur les bienfaits de la vaccination.

Selon les plus convaincus, toutefois, les arguments de Yusuf semblent être l’arme la plus efficace. Quoique illettré, Yusuf est un porte-parole éloquent.

Le moment est venu de se rendre à pied avec ses voisins jusqu’à la mosquée pour les prières du vendredi, et Yusuf a revêtu un shalwar kameez de couleur crème. Il est entouré de ses quatre enfants, tous très élégants – parmi eux Saratu, âgée de 13 ans.

« Je vous présente ma famille », dit Yusuf d’un large sourire. « Dieu est grand. »

« Voici ma famille », dit Yusuf d’un large sourire. « Dieu est grand .»

Yusuf Ibrahim

NOM: Yusuf Ibrahim
PROFESSION: champion de la vaccination au niveau local
EXPÉRIENCE: il a remis en question ses convictions antivaccination après que les médecins lui ont expliqué que le vaccin antipneumococcique aurait évité à sa fille de contracter la pneumonie qui a failli lui coûter la vie.
PRINCIPAL DÉFI À RELEVER: parvenir à convaincre la population locale que les vaccins ne sont pas une conspiration du monde occidental visant à réguler la population nigériane.
LIEU: Unguwar Daji, bidonville situé à la frontière nord de Minna, capitale de l’État de Niger.

Nigéria

Points forts

Le gouvernement fédéral reconnaît la nécessité d’élargir la couverture et certains gouverneurs d’États sont déterminés à mettre en place un programme fort de vaccination.

Points faibles

Une couverture vaccinale qui varie entre 10 et 80 % selon les États et au sein de ces États, des infrastructures d’une qualité inégale, un pays immense aux obstacles géographiques multiples, un mouvement antivaccination.

Résumé

Le Nigéria est un immense pays, doté d’un système fédéral de gouvernements en vertu duquel chaque État planifie et assure les soins de santé de manière autonome. Ce système se caractérise par des différences sensibles entre États dans la couverture vaccinale. Alors que le Nigéria s’efforce de remédier à ces iniquités avec le soutien de GAVI, des habitants tels Yusuf Ibrahim, fervent musulman et défenseur de la vaccination dans sa communauté de l’État de Niger, et le Dr Dayo Adeyanju, Commissaire à la santé de l’État d’Ondo, contribuent à mettre en place un système de vaccination plus solide, communauté après communauté.

Points forts

Le gouvernement fédéral reconnaît la nécessité d’élargir la couverture et certains gouverneurs d’États sont déterminés à mettre en place un programme fort de vaccination.

Points faibles

Une couverture vaccinale qui varie entre 10 et 80 % selon les États et au sein de ces États, des infrastructures d’une qualité inégale, un pays immense aux obstacles géographiques multiples, un mouvement antivaccination.

Résumé

Le Nigéria est un immense pays, doté d’un système fédéral de gouvernements en vertu duquel chaque État planifie et assure les soins de santé de manière autonome. Ce système se caractérise par des différences sensibles entre États dans la couverture vaccinale. Alors que le Nigéria s’efforce de remédier à ces iniquités avec le soutien de GAVI, des habitants tels Yusuf Ibrahim, fervent musulman et défenseur de la vaccination dans sa communauté de l’État de Niger, et le Dr Dayo Adeyanju, Commissaire à la santé de l’État d’Ondo, contribuent à mettre en place un système de vaccination plus solide, communauté après communauté.

Questions&Réponses

Dr Olusegun Mimiko, Gouverneur de l’État d’Ondo, et
Dr Dayo Adeyanju, Commissaire à la santé de l’État d’Ondo

Ils ne sont pas encore des personnages d’une série animée ou d’un film à succès, mais le Dr Olusegun Mimiko, Gouverneur de l’État d’Ondo, et le Dr Dayo Adeyanju, Commissaire à la santé de l’État d’Ondo, forment par excellence le duo de choc de la santé publique du Nigéria.

Les superpouvoirs du Dr Adeyanju sont ainsi à l’honneur aujourd’hui tandis qu’il montre fièrement l’entrepôt frigorifique de l’État d’Ondo. C’est un bâtiment flambant neuf situé à proximité d’un chantier où se construit un centre de santé – à 20 mètres à peine de la grange en pierre en ruines qui servait autrefois d’entrepôt de vaccins.

Pour M. Adeyanju, ce site est une excellente métaphore de ce que sont les soins de santé dans son État. « Notre population bénéficie des meilleurs soins de santé du pays », souligne-t-il. « Nous travaillons toutefois à les améliorer encore .»

Rehausser la barre

Au Nigéria, du fait du système fédéral, chaque État dispose d’une autonomie considérable, notamment dans la planification et la prestation des soins de santé. Cette organisation se caractérise par des différences sensibles entre États, dans la santé et dans la qualité des soins. Les autres États du Nigéria jugent maintenant leurs propres services de santé à l’aune des performances de l’État d’Ondo, et le Dr Adeyanju souhaite continuer à élever ce niveau.

« Notre gouverneur, le Dr Mimiko, nous soutient énormément, et toutes les administrations de l’État attachent beaucoup d’importance aux services de santé », affirme-t-il.

Un type sympa qui exerce un bon métier

Le Gouverneur Mimiko et le Dr Adeyanju se sont rencontrés pour la première fois voici plus de trente ans. Adeyanju était alors un jeune garçon impressionnable de douze ans. Le Dr Mimiko s’était rendu dans son école afin d’y prononcer un discours sur les professions médicales. « Nous avons parlé un moment et je me suis ensuite dit : "Un type sympa, semble-t-il, qui exerce un bon métier à un jeune âge… Cela ne me déplairait pas d’être comme lui". »

Le Dr Mimiko est nommé Commissaire à la santé de l’État d’Ondo après avoir grimpé les échelons du service public, tandis que le Dr Adeyanju obtient un diplôme en médecine et commence à travailler à l’hôpital public. Ce premier emploi le décourage. « Je voyais bien que ceux que je pouvais aider étaient peu nombreux », explique-t-il. « Il serait préférable, pensais-je, que je travaille dans un domaine me permettant de prévenir tous ces cas. »

Des programmes de base

Conscient des espoirs déçus du jeune médecin dont les ambitions seraient davantage satisfaites dans le secteur de la santé publique, le Dr Mimiko propose à Adeyanju de venir travailler pour lui au ministère. Ensemble, ils lancent un programme de base qui a permis de nettement réduire la prévalence du VIH et du paludisme dans l’État d’Ondo. M. Mimiko est ensuite élu gouverneur en 2009 et de nouvelles possibilités se présentent avec ce nouveau poste.

« À notre arrivée, le secteur sanitaire était largement sous-financé, l’infrastructure insuffisante, la direction médiocre, et les travailleurs manquaient de motivation », souligne le Dr Adeyanju. « Un État recensait encore des cas de polio dans un secteur géré par les pouvoirs locaux ; la mortalité infantile y était assez importante et celle des moins de cinq ans beaucoup trop élevée aussi. »

Révolutionner le système

Le nouveau gouverneur place la santé au rang des priorités dans son administration et entreprend de révolutionner le système grâce au projet Abiye (terme qui signifie « maternité » en yoruba).

Le programme Abiye cible principalement les femmes enceintes. Chaque femme reçoit une carte à puce contenant des données personnelles, qui permettent aux agents de santé de connaître les antécédents médicaux de sa famille. Elle facilite la planification des soins postnatals, notamment la vaccination des bébés.

La première étape consistait à élargir l’accès à la vaccination. Restait à trouver comment entreposer et acheminer les vaccins.

« Le vieil entrepôt frigorifique ne servait plus depuis deux mois quand nous l’avons vu », se souvient M. Adeyanju. « Le bâtiment délabré semblait avoir été laissé à l’abandon depuis des lustres. Les murs s’effritaient, il régnait une odeur d’humidité, et une boîte à fusibles évoquait le projet scientifique d’un enfant de dix ans. » La date d’achat du générateur électrique qui fournissait en électricité les réfrigérateurs d’une importance capitale remontait à 1978.

La pierre angulaire

« J’ai dit au gouverneur que cet endroit ne convenait pas ; quelques semaines plus tard, celui-ci débloquait des fonds pour un nouvel entrepôt et les travaux commençaient », précise-t-il.

La couverture vaccinale de l’État d’Ondo figure maintenant parmi les plus élevées du pays, et le vaccin pentavalent y sera introduit ces prochains mois. Ce vaccin protège en une seule injection les enfants de cinq maladies potentiellement mortelles : tétanos, diphthérie, coqueluche, hépatite B et Haemophilus influenzae type b (responsable de méningites et de pneumonies). À l’heure actuelle, quelque 170 pays l’utilisent, et les enfants des pays en développement sont de plus en plus nombreux à le recevoir grâce au soutien de GAVI Alliance.

« Le programme de vaccination systématique, que les journées nationales de vaccination viennent renforcer, constitue la pierre angulaire de notre programme de santé – tout cela serait impossible sans le soutien de GAVI », indique le Dr Adeyanju.

Alors que le Nigéria s’attaque à la fragmentation de ses soins de santé, GAVI Alliance met au point des démarches sur mesure visant à soutenir les systèmes nationaux de vaccination, État par État. « Grâce à ces dons généreux, nous pouvons fournir un modèle à même de transformer tout le pays », souligne le Dr Adeyanju.

Et, qui sait, recruter quelques super-héros de plus au passage.

Last updated: 17 Dec 2019

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